samedi 17 septembre 2022

Sobriété: couper le wifi, pipi dans la douche, doudoune... Comment les Français se préparent à passer l’hiver



Débrancher le Wi-Fi, vivre en doudoune à la maison, faire pipi sous la douche… Jusqu’où les Français sont-ils prêts à aller pour participer à l’effort national? «Nous sommes en guerre!», a lancé, martial, Emmanuel Macron la semaine dernière, après avoir décrété «la fin de l’abondance»Alors que le chef de l’État a appelé ses concitoyens à «être au rendez-vous de la sobriété» pour éloigner le spectre des rationnements en gaz et électricité cet hiver, vont-ils accepter de «tous se bouger» dans «l’objectif de baisser de 10 % notre consommation» ?

Si elle se révèle disposée à adopter certains changements de comportement, la population est «en attente d’une forme d’exemplarité et d’informativité», indique une étude Ifop pour Teneo et Impact France sur «Les Français et la sobriété environnementale». Un citoyen sur deux serait prêt à adapter son alimentation ou à améliorer l’isolation de son logement, mais 89 % «attendent que leurs dirigeants montrent l’exemple», assure ce sondage réalisé fin aoûtQui précise aussi que «plus de 11 % des personnes interrogées déclarent ne pas savoir précisément à quoi renvoie la “sobriété”»…

Selon une autre enquête, publiée en juillet par l’institut Elabe pour Les Échos, Radio Classique et l’Institut Montaigne, 63 % des sondés accepteraient de réduire leur consommation d’énergie. En commençant par de petits gestes simples: privilégier le programme «éco» de son lave-linge est le plus cité (82 %), juste devant le changement des ampoules classiques pour des LED. Viennent ensuite le débranchement systématique des appareils en veille, la baisse du chauffage du domicile, la diminution de la température de l’eau pour les douches. Même si «toutes les catégories de population» envisagent des efforts, les cadres et professions intermédiaires semblent plus déterminés que les catégories populaires, les moins de 50 ans plus que les seniors, les urbains plus que les ruraux, et les Français aisés bien évidemment plus que ceux qui doivent déjà se restreindre pour boucler leurs fins de mois. Là encore, «90 % le feraient sous au moins une condition», la première étant que l’effort soit collectif.

«J’en ai assez de passer devant toutes ces vitrines allumées la nuit, de voir ces clients siroter leur café en terrasse sous un chauffage d’appoint ou de devoir enfiler un gilet au rayon frais des grandes surfaces !, peste Virginie, quadragénaire parisienne. Et cet hiver, alors qu’on surveillera nos radiateurs, les footballeurs joueront au Qatar dans des stades climatisés à ciel ouvert? Pendant ce temps-là, moi je m’escrime à apprendre à mes enfants à éteindre la lumière en sortant de leur chambre…» Épinglé par BFMTV, le ministère de la Transition écologique, dont les bureaux restent éclairés la nuit, a promis des «travaux achevés en octobre».

Autre séquence qui avait choqué, en juillet, les voitures à l’arrêt des ministres, moteur et clim allumés dans la cour de l’Élysée. «Mais qu’ils aillent se faire f… avec leurs “petits gestes”!, s’emporte Gérard, retraité dans le Calvados. Ils sont complètement déconnectés, au gouvernement, à nous seriner de baisser la clim: je ne connais personne qui a la clim chez lui. Regardez! Pour réparer certaines de mes vitres fêlées, j’ai mis du scotch épais. Ma préoccupation aujourd’hui, c’est comment je vais arriver à me chauffer cet hiver. Le président, il nous dit qu’il faut mettre 19 degrés ; je serai déjà content d’y arriver dans toutes les pièces! Et si ça se trouve, il y aura le Covid et on nous dira d’ouvrir les fenêtres…»

Après le premier choc pétrolier de 1973, le président Pompidou avait lui aussi fait appel à «l’esprit d’économie du peuple français». Pour faire la «chasse au gaspi», il était alors demandé d’éteindre les vitrines la nuit, limiter la température de chauffage des locaux, et réduire la vitesse sur les routes… «À l’époque, cela avait été un choc énorme, mais les gens avaient compris, rappelle Maxime Maury, membre du Centre d’étude et de prospective stratégique (CEPS). La question essentielle est celle de l’éducation. Si on demande des sacrifices à la population et que les dirigeants ne sont pas exemplaires, on risque une nouvelle crise de “gilets jaunes”.»

Quant aux mesures à prendre pour économiser l’énergie, «on peut piocher dans celles qui ont été énoncées par la convention citoyenne pour le climat, en 2020». «Le comportement des particuliers peut résoudre un tiers de la crise énergétique et climatique» estime ce professeur affilié à la Toulouse Business School, qui, lui, est prêt à changer radicalement son mode de vie: «Privilégier le train, réduire sa vitesse en voiture, manger local et de saison, diminuer sa consommation de viande, et même baisser le chauffage de trois degrés l’hiver en s’habillant davantage.»

Sa vidéo a fait «14 millions de vues», il croule sous les demandes d’installation et il vient de recevoir «un appel du ministère de l’Économie» : plombier en Seine-et-Marne, Sidi Drici a inventé un astucieux système de récupération d’eau de douche pour alimenter les WC. «Une chasse d’eau tirée, c’est en moyenne 9 litres, explique-t-il. On consomme plus d’eau pour les toilettes que pour la douche. Comment est-ce possible de gâcher toute cette eau potable?»

Autre astuce aussi simple qu’efficace: «J’ai réglé mon ballon d’eau chaude exactement à la température à laquelle je prends ma douche, affirme-t-il. Il n’y a aucune utilité à chauffer plus que 40 °C ; au-delà ça brûle!» Dans le Limousin, Véronique, qui vit seule, a déjà prévu de se replier, cet hiver, dans une petite partie de sa ferme, autour du poêle à bois de sa cuisine. En attendant, dans son évier, une bassine recueille l’eau lorsqu’elle se lave les mains. Dans sa douche, une autre récupère «l’eau froide qui coule avant qu’elle soit à bonne température» «Pour éviter d’allumer la lumière lorsque c’est juste pour chercher un objet dans une pièce» cette veuve septuagénaire se déplace toujours avec son portable, qu’elle utilise comme lampe de poche. Un peu anxieuse «de tout ce qu’on entend sur la hausse des prix» elle envisage même, «pour partager les factures» de s’installer avec une amie, «un mois chez l’une, un mois chez l’autre»

Si Daniel Sauvaitre, viticulteur et arboriculteur en Charente, arrive à faire des économies d’énergie cet hiver, «ce ne sera pas très glorieux, car pas de mon fait», soupire-t-il. «Malheureusement, je vais produire moins car la sécheresse et la canicule ont réduit mes récoltes, déplore le secrétaire général d’Interfel, l’interprofession des fruits et légumes frais. Pour les pommes, on les répartit dans de grandes chambres froides, à environ 1 °C. Comme l’année est précoce, il faudra plus d’énergie que si on récoltait plus tard. J’ai travaillé toute l’année pour produire ces fruits: je ne vais pas renoncer pour faire des économies! Mais certains de mes collègues sont dans des situations dramatiques: ceux, qui actuellement en fin de contrat d’électricité, doivent en signer de nouveaux à 800 euros du mégawatt se demandent s’ils vont cueillir leurs pommes, puisqu’ils ne pourront plus payer les chambres froides…»

Dans sa résidence de standing de l’ouest parisien, Charlotte n’a pas ces tourments. Mais elle «veille au grain plus que jamais», répétant à ses enfants que «c’est pas Versailles ici! On fait déjà notre compost, mais j’ai suggéré à nos copropriétaires que l’on crée un potager dans notre parc, raconte-t-elle. Je viens d’acheter un vélo électrique: ainsi je vais moins au supermarché, et cela profite au fromager ou au fleuriste du quartier…» Au bureau, alors que tout le monde ou presque a déjà son mug, ce sont les couverts réutilisables que l’on va désormais sortir de son sac. « De plus en plus d’entreprises nous en commandent pour équiper leurs collaborateurs, des écoles pour leurs étudiants, indique Alice Abeille, cocréatrice de Bini, un ingénieux kit en biocomposite. On est en train de réfléchir à toute une gamme qui nous permettra, demain, d’aller remplir nos contenants dans des restaurants de plats à emporter. Car l’énergie dépensée ce n’est pas seulement celle utilisée dans notre maison, par notre voiture: tout ce que nous consommons représente une émission de CO2. Alors pour réduire nos consommations d’énergie, réutilisons!»

En réunion de copropriété, les prochains débats promettent d’être «un peu chauds» entre ceux qui voudront faire la chasse au gaspi et ceux qui tiennent à leur confort. «Chez nous, les 19 °C, ça va être impossible!, s’exclame Louis, président du conseil syndical d’un immeuble parisien. Nous sommes 275 copropriétaires, la moitié exposée à l’Est, l’autre moitié à l’Ouest. Quand la température sur le toit est inférieure à 14 °C, ça déclenche le chauffage. Des voisins m’ont demandé de faire des économies, mais il faut penser aux personnes âgées ou aux familles avec enfants! Pour les fenêtres, la moitié des copropriétaires sont passés au double vitrage, mais on ne peut pas les y obliger… Lors des assemblées générales, les jeunes votent souvent contre les travaux, tout simplement parce qu’ils sont trop justes financièrement, après s’être endettés pour acheter.»

Par Stéphane Kovacs le 16 septembre 2022

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