Certaines descentes aux enfers sont plus amusantes à regarder que d’autres. Après avoir prôné un islam des plus intégristes, le rappeur Gims revient pour nous parler histoire de l’Afrique dans un entretien donné au média panafricain Oui Hustle. « L’Afrique, c'est [le] Wakanda bordel, c'est le futur normalement chez nous », dit-il à propos d’un projet de construction de métro à Yamoussoukro, capitale de la Côte d’Ivoire, dont il se félicite. Il poursuit son propos par une démonstration implacable : « À l'époque de l'empire de Koush, il y avait l'électricité. Les pyramides qu'on voit là, au sommet, il y a de l'or. L’or, c'est le meilleur conducteur pour l'électricité, c'étaient des foutues antennes, les gens avaient l'électricité. Les gens n'arrivent pas à comprendre. Les Égyptiens, la science qu'ils avaient, ça dépasse l'entendement. Les historiens le savent. »
Mais oui, c’est clair ! Tout cela fait sens, l’électricité au sommet des pyramides, les petits hommes verts venus les construire, l’Atlantide, tout se rejoint ! Cher professeur Gims, dites-nous-en davantage, par pitié, éclairez-nous de votre si lumineux savoir ! « L’Afrique a peuplé l’Europe avant les Européens, on les appelait les Afropéens. Ils ont été décimés par les vrais Européens qui venaient d’Asie. On les appelait les Yamnayas, 50.000 ans avant les Européens », ajoute-t-il sans se démonter. Quel aplomb ! Ce n’est plus un enseignement mais une performance artistique.
Le cours du professeur Gims s’achève par une rigoureuse démonstration : « Tu retrouves aujourd’hui des tableaux qui sont classés, cachés dans des catacombes, c’est des renois qui sont en mode chevalier, Sir Lancelot, tout ça. Il faut connaître notre Histoire. On veut nous faire croire que notre Histoire a commencé sur un négrier. » Le chevalier Bayard était noir, quelle découverte ! Gims a enchaîné, sans aucun sourcillement ni rire étouffé, les poncifs complotistes les plus en vogue au sein de certaines sociétés africaines francophones.
Le péril panafricain
Le ver est depuis longtemps dans le fruit. L’un des premiers porte-étendard de cette réécriture de l'histoire générale de l’Afrique est sans conteste le Sénégalais Cheikh Anta Diop. Recalé à la Sorbonne, ce dernier affirmait que les sphinx égyptiens avaient le nez sectionné à cause des Européens blancs qui voulurent dissimuler la nature « négroïde » de leurs traits. Le génie sénégalais affirmait également que la plupart des pharaons étaient noirs, que Cléopâtre elle-même l’était ; dire l’inverse relevait du colonialisme. Enfin, le grand égyptologue autoproclamé ne savait pas lire les hiéroglyphes mais affirmait, avec un aplomb « gimsien », que le wolof (langue majoritaire au Sénégal) et l’égyptien ancien présentaient des similitudes, ce que tout historien sérieux réfute.
Les idées de Cheikh Anta Diop ont pu tranquillement se diffuser et infuser chez de jeunes intellectuels africains des années 80 et 90. Largement promu par le service public français, peu d’historiens ou de journalistes se sont véritablement attelés à déconstruire le mythe diopien. Pourtant, ce discours conspirationniste fait des ravages auprès de toute une jeunesse africaine en quête de sens et de repères identitaires, à l’image de Gims.
Un fantasme permanent
La création d’une mythologie historique n’est en soi pas néfaste pour les peuples. Comme dit le grand Régis Debray, « l’Histoire, c’est la correspondance entre la mémoire et le projet ». Mais il faut savoir de quelle mémoire l’on parle. Nombreux sont les « afro-descendants » tels que Kémi Seba ou les membres de la Ligue de défense noire africaine qui cherchent à glorifier une Afrique victime éternelle d’une Europe ayant toujours conspiré pour la falsification de son Histoire et le maintien des peuples dans le mensonge. L’Occident a de quoi s’inquiéter de ce genre de thèses qui feront bientôt de lui l’ennemi numéro en Afrique et sur lesquelles surfent la Russie et la Chine.
Sur Internet, une cohorte de médias panafricanistes et complotistes diffusent les pires théories complotistes au sein même des diasporas et des populations locales. L’homme blanc y est essentialisé, l’Histoire déformée. Ainsi, on en vient aux mythes de la tour Eiffel faite d’acier algérien, de Napoléon l’inventeur des premières chambres à gaz, du général de Gaulle génocidaire de millions d’Africains ou d’une Égypte antique électrifiée grâce à l’or des pyramides… « L’Afrique n’est pas le Wakanda, arrêtez de rêver », dénonce la courageuse Stella Kamnga, qui se bat contre les mensonges des panafricains. Une mince raison d’espérer la fin de ce cirque ?
Par Julien Tellier le 11 avril 2023