Lundi matin, la « députée Obono », comme elle se nomme elle-même sur les réseaux sociaux, s’est levée visiblement très colère. Dès potron-minet, elle a tweeté son grand courroux : « Bonjour à tous et toutes ! Sauf aux gens qui instrumentalisent la lutte des femmes en Iran contre l’oppression pour insulter et disqualifier la lutte des femmes en France contre l’oppression. Ceux-là : mangez vos morts. » (sic)
On peut au moins reconnaître une grande conquête féministe à la gauche LFI : la vulgarité. Arrachée de haute lutte au patriarcat. Les femmes surpassent aujourd’hui largement les hommes. Raquel Garrido et Danièle Obono vous feraient passer Jean-Luc Mélenchon et David Guiraud pour de prudes chaisières.
L’expression ayant aussitôt fait l’objet d’une exégèse par les médias, on apprend que « Mange tes morts » est, à l’origine, une insulte manouche. Danièle Obono s’est en quelque sorte rendue coupable d’appropriation culturelle. Une chance, pour elle, que les trépassés ne puissent se constituer, les malheureux, en communauté discriminée car ils auraient pu, sinon, l’accuser de nécrophobie.
Il fut un temps, pas si lointain, à l’Assemblée nationale, où l’on ne parlait, d'un bout à l'autre de l'Hémicycle, qu’avec respect des défunts. Peut-être parce que parmi ceux-ci, certains députés comptaient des fils, tombés au combat, comme le radical du Cantal Paul Doumer et le très catholique général de l’Aveyron Édouard de Castelnau. Ou parce que les noms des seize députés morts pour la France, sur le monument érigé salle des Quatre Colonnes au palais Bourbon, obligeaient ceux qui leur avaient succédé. « Le soin des morts est un marqueur de civilisation », écrivait l’historien américain Thomas W. Laqueur à propos de la gestion Covid (L'Histoire, juillet-août 2020). Le « soin des morts » dans la langue, aussi.
Pour la défense de Danièle Obono, qui a perdu ses nerfs, force est de constater que la situation est grave. Les huées essuyées par Sandrine Rousseau - mais aussi Manon Aubry - lors de la manifestation en soutien aux Iraniennes ont commencé d’ébranler leur petite entreprise, jusqu’aux fondations.
Les témoignages de femmes hostiles dans la foule sont mordants : « En tant que personnes d’origine maghrébine, musulmane, on sait quelles sont nos conditions, on sait les pressions que nous subissons, affirme Maaroufi Fadila, directrice de l’Observatoire des fondamentalismes à Bruxelles. Ici même, il y a des femmes qui sont violentées parce qu’elles désirent enlever leur voile. La place de Sandrine Rousseau est avec les accusés, ceux qui défendent l’islamisme. Elle nourrit le fondamentalisme avec ses propos. [...] L’objectif des islamistes en Europe est d’imposer le voilement des femmes, la charia, la doctrine des Frères musulmans. »
Parallèlement, comme pour l'accabler un peu plus, une vidéo extraite d’une émission sur LCP datant de 2021 dans laquelle Sandrine Rousseau qualifiait le voile islamique d’« embellissement » a été exhumée et fait florès sur les réseaux sociaux. Face à elle, l’essayiste Fatiha Agag-Boudjahlat lui avait alors fait ravaler non pas ses morts mais ses mots, en lui renvoyant en boomerang ses propres outils rhétoriques : « Madame, essayez de déconstruire votre privilège de blanche bourgeoise […] Les femmes sont en danger quand elles enlèvent [leur voile] et vous ne le savez pas vu vos fréquentations bourgeoises ou blanches. »
La fébrilité de Danièle Obono est légitime : cette séquence iranienne pourrait bien faire, in fine, une victime de plus : le féminisme français, étranglé par ses propres contradictions. Et ce mort-là, avouons-le, nous nous ferions une joie de le découper en rondelles pour le dévorer joyeusement. Bien saisi au barbecue, bien sûr.
Par Gabrielle Cluzel le 3 octobre 2022