L’information a été cantonnée aux colonnes « sport » des journaux, et pourtant, les leçons que l’on peut en tirer dépassent largement le cadre du football. Pour des raisons de sécurité, c’est dans la Hongrie de Viktor Orbán que s’est tenu, jeudi 10 octobre, le match France-Israël (gagné par la France 4-1), de la Ligue des nations.
Matchs sans incident
Depuis le 7 octobre, Israël a joué sept de ses neuf matchs internationaux en Hongrie. Viktor Orbán s’est, depuis le 7 octobre, montré un soutien indéfectible d’Israël et, fervent amateur de football, il a proposé d’accueillir les footballeurs israéliens. Que n’a-t-on entendu, pourtant, par le passé, au sujet de l’antisémitisme supposé du Premier ministre hongrois, notamment en raison de sa farouche opposition au milliardaire Soros. Viktor Orbán et Benyamin Netanyahou, respectivement Premiers ministres hongrois et israélien, entretiendraient d’excellentes relations, et pour l’ambassadeur d’Israël à Budapest, Yacos Hadas-Handelsman, « la Hongrie [est] une bonne alternative » tant qu’Israël ne peut pas jouer à domicile. Certes, une bulle de sécurité a été mise en place autour de l’équipe israélienne avec un dispositif fourni par Tel Aviv, les entrées ont été extrêmement contrôlées et filtrées, mais le résultat est là : les matchs ont pu avoir lieu sans incident.
De la même façon, le 6 septembre dernier, la rencontre entre la Belgique et Israël, normalement prévue au stade Roi-Baudouin à Bruxelles - c’est la Belgique qui devait recevoir Israël -, avait été délocalisée à Budapest par crainte des « débordements », comme l'on dit pudiquement. « Tous les jours, on a des manifestations et des contre-manifestations liées au conflit en cours. Accueillir Israël, c'est faire entrer la tension géopolitique maximale dans nos quartiers », s’était justifié Benoît Hellings, échevin des Sports : « Recevoir Israël en Belgique, même à huis clos, ça aurait été prendre un risque démesuré de voir un loup solitaire déclencher un nouvel acte terroriste. » C'était, bien sûr, une allusion à l’attaque terroriste en marge du match Belgique-Suède, le 16 octobre 2023, au cours de laquelle deux supporters scandinaves avaient été tués. La Hongrie ne craint pas trop, quant à elle, les fameux « débordements », car les manifestations pro-palestiniennes sont interdites. Et ils sont bien peu, tant dans la communauté musulmane locale très réduite que dans les rangs de la gauche magyare, à y contrevenir. Pour ce qui est du match retour, prévu en France le 14 novembre, le suspense reste entier. Selon la presse spécialisée, la FFF aurait imaginé faire jouer le match dans une petite ville ou encore à huis clos. En attendant, la billetterie n’est toujours pas ouverte.
Une UE exempte d'antisémitisme ?
Sur le site de la Commission européenne, un post publié le le 5 octobre 2021, soit quasiment deux ans jours pour jour avant le 7 octobre, a pris un sacré coup de vieux : y était présentée « la toute première stratégie européenne de lutte contre l'antisémitisme et de soutien à la vie juive » de la Commission européenne, destinée à être « mise en œuvre au cours de la période 2021-2030 ». Suivait un long catalogue de vœux pieux et de déclarations d’intentions censés, en théorie, nous conduire « vers une Union européenne exempte d’antisémitisme » (sic).
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’engageait par là « à soutenir la vie juive en Europe dans toute sa diversité » car, déclarait-elle, « l'Europe ne peut prospérer que lorsque ses communautés juives se sentent en sécurité et prospèrent ». C’est une franche réussite. Dans la ville même où siègent la plupart des institutions européennes, il est impossible d’organiser un match de foot avec une équipe israélienne. Et l’infréquentable Viktor Orbán, qu’Ursula von der Leyen a encore violemment fustigé il y a quelques jours, donne en matière de sécurité et de quiétude, pour les populations de confession juive, des leçons au « technotable » Emmanuel Macron. Le 11 juillet dernier, un rapport de l’Agence des droits fondamentaux montrait que 96 % des Juifs en Europe avaient été confrontés à l’antisémitisme au cours des douze derniers mois et qu’en France, 74 % des Juifs estimaient que le conflit en Israël avait eu un impact sur leur sentiment d’insécurité : un des taux les plus élevés parmi les pays sondés (62 %, en moyenne, pour les autres). Pour la Hongrie, le chiffre était… de 9 %.
Et si la bête du Gévaudan, le croquemitaine, le père Fouettard, le monstre du Loch Ness et le yéti réunis en la personne de Viktor Orbán venaient de faire la démonstration d'une intuition partagée secrètement par plus d'un Européen : la meilleure « stratégie » pour lutter contre l'antisémitisme en Europe ne serait-elle pas - ô surprise ! - de lutter contrer l’immigration ?
Par Gabrielle Cluzel le 11 octobre 2024