Il fut un temps où le monde était binaire : il y avait le jour et la nuit, les hommes et les femmes, les professeurs et les élèves, les innocents et les coupables : le jour, le soleil éclairait l’activité humaine, la nuit, la lune baignait les dormeurs de sa veilleuse ; les hommes plantaient la petite graine et les femmes la transformaient en bébés ; les professeurs enseignaient et les élèves apprenaient ; les innocents étaient protégés et les coupables punis. Mais ça, c’était avant le progrès.
À l’ère woke, les progressistes cassent la nuit ce que les contribuables fabriquent le jour, les hommes prétendent faire pousser les bébés dans un organe qu’ils n’ont pas, les femmes peuvent exiger que l’on rende la langue incompréhensible pour ajouter une quéquette alphabétique aux adjectifs qui les décrivent, les étudiants enseignent aux professeurs leurs délires quotidiens, que ceux-ci récitent les mains jointes et les yeux baissés et les coupables de pogromes sont qualifiés de résistants, pendant que leurs victimes sont soupçonnées de fake news.
Le niveau des études baisse, mais l’éveil des étudiants s’élève proportionnellement
Plus le classement PISA de la France s’effondre, plus la conscience révolutionnaire atteint des hauteurs stratosphériques parmi les étudiants. Et plus l’école ou l’université est prestigieuse, plus la distance avec le réel s’accroît.
C’est ainsi que Sciences-Po Lyon n’autorise les « débats » qu’entre débatteurs du même avis, c’est-à-dire le leur. Sciences-Po Paris supprime les cours de danse de salon au motif que le professeur indique les pas de danse aux « hommes » et aux « femmes », qui sont des notions obsolètes. Science-Po Menton met des piquets de grève devant sa fac pour lutter contre « la censure de la Direction sur la Palestine » au nom de la « liberté d’expression ».
Soyons précis, plus précis que la Direction de l’école et que les syndicalistes pro-palestiniens : il s’agit, pour ces incultes, de défendre « les victimes » du « colonisateur[1]», alias Israël qui, à la méconnaissance de ces étudiants, est le seul « colonisateur » de la planète.
Du côté de la réalité
Ladite colonisation n’a jamais répondu à la définition d’une colonie, qui est la mainmise d’un État par un autre État ultramarin plus puissant, qui exploite la population et les matières premières du plus faible.
Bien sûr, utiliser les mots en fonction de leur sens est un conformisme qui sent son privilège blanc à plein nez. Les étudiants dûment woke n’ont pas ce travers. Eux attribuent aux mots leurs propres qualités. Il existe donc des mots non binaires et d’autres qui ont transitionné de leur définition originelle à un sens contraire, ou flou, voire à aucun sens, mais qui sont quand même utilisés pour leur sonorité agréable.
Seuls, les intégristes qui attribuent aux mots le sens que leur donne l’Académie française, peuvent comprendre pourquoi « Juifs » (synonyme : « israélites ») et « colonisateurs d’Israël » sont incompatibles. Pour commencer, les Juifs n’ont jamais possédé d’autre État que les royaumes juifs d’Israël, aussi prétendre que cet État a lancé depuis l’outre-mer une opération de « colonisation » sur un autre pays, plus faible, est absurde, faute de colonisateur. Que cet État plus puissant, dont la seule matière première est la matière grise de ses citoyens, ait exploité les « ressources en matières premières » du second est une hypothèse que les étudiants seraient bien en peine de démontrer.
D’autre part, en 1967, Israël avait pris Gaza à l’Égypte, qui a refusé de récupérer ce territoire lors de la signature du traité de paix entre les deux ex-adversaires, en 1979. De plus et c’est fondamental, il n’a jamais existé, sur la planète Terre, un État palestinien qui eût pu prétendre être colonisé. D’où la chute du deuxième terme de l’équation, faute de combattus.
Enfin, et c’eût été de nature à justifier un non-lieu, cette « colonisation » s’est terminée quand les Israéliens se sont retirés sans contrepartie de Gaza en juillet 2005, avant la naissance des ignorants mentonnais qui se haussent du col. L’embargo militaire, lui, existe depuis 2007, quand le Hamas a renversé l’Autorité palestinienne, tuant des centaines de Palestiniens membres du Fatah-frère-ennemi et transformant la Bande en base militaire.
Croire ou savoir, il faut choisir
Pourquoi la Direction de Science-Po Menton a-t-elle dû préciser que « aucun slogan antisémite ne sera toléré ». Assimile-t-elle l’antisionisme à l’antisémitisme ? De fait, l’antisémitisme a fait 6 millions de morts en 1939-45 et le programme de l’antisionisme est d’en faire 7 millions de plus « du fleuve à la mer », c’est-à-dire en éradiquant l’État juif qui s’y trouve.
Le programme des grévistes, pour l’instant, se réduit à« Nous devons continuer à boycotter, à démunir et à sanctionner Israël ». Leur spécialité étant les sciences politiques, ils déploient le sens des nuances que demandent ces études pour expliquer leur action : « l’attaque récente est une conséquence directe de la violence qu’Israël inflige quotidiennement aux Palestinien·nes en Cisjordanie et à Gaza. Les peuples opprimés recherchent toujours la liberté et lorsque tout le reste échoue, ils se tournent vers la violence. Nous devons soutenir la Palestine.[2] »
La Direction de l’établissement possédant, apparemment, le cerveau qui fait défaut à ses élèves, comprend bien qu’un tel programme est justifié concernant l’agresseur, mais qu’il cumule bêtise et méchanceté s’il vise l’agressé. Les étudiants qui ont inversé les rôles ont le choix entre le déshonneur d’avouer qu’ils l’ont fait exprès et la guerre contre les profs pour avoir la moyenne. Ils auront les deux. On remarque au passage qu’ils ne sont pas meilleurs en maths, puisque les factions pro-palestiniennes accusent sempiternellement Israël de génocide, confondant la division et la multiplication : la population « palestinienne » a été multipliée par près de dix depuis 1948, pas divisée par un génocide ! Mais qu’importe le réel, quand on a l’ivresse de l’antisémitisme multipliée par le fla-con de l’ignorance !
[1] www.lefigaro.fr/nice/des-etudiants-de-sciences-po-menton-organisent-un-blocage-contre-la-censure-de-la-direction-sur-la-palestine-20231116
[2] https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/alpes-maritimes/menton/guerre-entre-le-hamas-et-israel-le-campus-de-sciences-po-menton-ebranle-par-les-publications-d-une-organisation-pro-palestinienne-2853872.html
Par Lilianne Messika le 20 novembre 2023