Au beau milieu de la Mostra de Venise, entre un Lion d'or d'honneur pour l'immortelle Catherine Deneuve et la projection du film d'ouverture du festival, soudain, il est apparu. C'était bien, face au public en smoking et robe longue, la même silhouette massive, le même accoutrement militaire que d'habitude ; et, sous ces yeux cernés par les veilles et l'angoisse, cette barbe de prophète armé. C'était lui, en personne, par le miracle de la télévision : Volodymyr Zelensky. Un frisson de plaisir bourgeois, qui n'était autre que celui du courage par procuration, parcourut voluptueusement l'assistance. Ainsi, à Venise aussi, on pouvait "le" voir.
Il parla de la guerre, bien sûr. Qu'il en parlait bien, avec cet air grave et cette tristesse retenue qui étaient désormais son masque habituel ! Il rappela que la guerre ne durait pas 120 minutes, mais qu'elle durait depuis 189 jours. Que c'était bien trouvé ! Suivirent, morbide générique, une liste d'enfants et d'adolescents ukrainiens tués par les bombes. Ça marche toujours bien, les massacres d'innocents. Et ce parallèle avec le générique de fin d'un film : tout en subtilité !
A Venise, on n'en revenait pas. Ainsi donc, on avait réussi à avoir son petit quart d'heure de Zelensky... Le silence qui suivit cette expérience collective, quand l'image du libérateur en 4x3 s'éteignit, c'était encore du Zelensky. Pourtant, au palais des festivals, on ne pouvait pas fournir de canons Caesar, ni de missiles américains. Tout au plus saint Volodymyr de Kiyv, libérateur et voïvode, aurait-il pu envoyer quelques-uns de ses comparses faire la quête, l'air triste et habillés, eux aussi, par le rayon chasse de Decathlon, pour faire plus martial.
Vous souvenez-vous, dans Le tour de Gaule d'Astérix, de ce metteur en scène d'avant-garde, squelettique et enflammé, qui disait, sur la scène d'Avignon, à un public en pâmoison « Vous êtes laids ! », à quoi les matrones ravies réagissaient en se disant l'une à l'autre : « C'est insupportable de vérité ! » C'est ce genre de gifle morale que venait chercher le public repu et trié sur le volet de la Mostra. Inviter quelqu'un pour qu'il vous reprocher de vous amuser : fallait y penser.
On dit que l'Ukraine est en train de perdre à Kherson. Les États-Unis finiront-ils par lâcher leur marionnette ? Alors Zelensky n'aura plus qu'à retourner au spectacle vivant. Seulement voilà : quand on a été président du plus gentil de tous les pays gentils, et qu'on a tenu tête, sans même prendre le temps de mettre une cravate, au plus méchant de tous les pays méchants, il y a des choses qu'on ne peut plus faire. Avant sa canonisation, saint Volodymyr le Russovore s'était par exemple fait connaître en jouant du piano debout sans les mains, ou en dansant en talons aiguilles. Ensuite, il avait, on le sait, incarné le président de la République dans une série à succès.
Lorsqu'il reviendra à la vie civile, il réjouira petits et grands en incarnant, à la salle Jacques-Villeret d'un quelconque chef-lieu de canton, ou à la quinzaine des fromages à pâte de l'hypermarché du coin, le rôle austère et tendu qui l'a rendu célèbre : mélange improbable et factice de Buster Keaton et de John Wayne. On se souviendra alors avec émotion de l'époque où, dans les grandes soirées mondaines, comme à Cannes ou à Venise, si t'avais pas eu ton mot de Zelensky, t'avais raté ta vie. « Vous vous souvenez, dirons-nous, c'était l'époque où on avait du gaz et de la lumière ».
Par Arnaud Florac le 1er septembre 2022