La journée politique de ce lundi, à gauche, ressemble à une phrase du Journal de Jules Renard : « Ensuite, ils mangèrent un plat de gravier où il y avait quelques lentilles. » Pour les électeurs, la stratégie du plat de lentilles risque d’être dure à avaler.
La simplicité de la petite combine est biblique, comme l’histoire de Jacob et Ésaü. Et, aussi, parfaitement cynique. Le macronisme et le mélenchonisme jouent la carte du désistement mutuel pour faire « barrage au RN ». C'est le Nouveau Nouveau Front populaire : le macrenchonisme.
Emmanuel Macron l’a annoncé moins de dix minutes après les résultats, appelant à un « large rassemblement démocrate et républicain contre le RN ». Le ni-ni a été pulvérisé, preuve qu’il n’était que pure façade en carton. L'eurodéputé Pascal Canfin s'est lancé aussitôt, sur X, dans un petit calcul arithmétique : « Voilà ce que le désistement veut dire, concrètement : grâce au retrait du candidat LFI arrivé troisième, Élisabeth Borne peut battre le candidat RN. Grâce au retrait du candidat Ensemble arrivé troisième, François Ruffin peut battre le candidat RN. » Elle n’est pas belle, la vie ?
Les électeurs de LFI sont priés de porter fissa leurs suffrages sur l’orfèvre de la réforme des retraites - Olivier Faure « assume » un désistement de la gauche dans le Calvados pour « sauver » Élisabeth Borne face au RN - et les électeurs d'Ensemble sur François Ruffin qui a traité, il y a trois semaines, Emmanuel Macron de « taré ». Tout est normal. Gabriel Attal a solennellement appelé à faire élire 60 députés - il a lui-même donné le chiffre - du NFP, enjoignant ses propres candidats en troisième position à se désister partout où le RN serait en position de gagner.
Même David Guiraud
Yaël Braun-Pivet, qui avait accusé Mélenchon, en octobre dernier, de lui avoir mis « une cible » dans le dos - il disait qu'elle « campait à Tel Aviv » -, considère aujourd’hui que « pas une voix ne doit aller au RN » et que « l'immense majorité du bloc de gauche est républicain » : « On peut donc sans aucune difficulté appeler à voter pour eux. » Tout au plus émet-elle une réserve pour David Guiraud. Sans doute n’a-t-elle pas remarqué (il faudrait se cotiser pour lui offrir des lunettes) la présence, à la droite de Jean-Luc Mélenchon - propulsé chef du Nouveau Front populaire, puisqu’il a pris la parole le premier dimanche soir et donné la consigne de désistement -, de Rima Hassan, tout sourire avec son plus beau keffieh.
Quant au cordon sanitaire autour de David Guiraud, il n'a pas fallu plus de quelques heures pour qu'il parte en fumée : dans sa circonscription, le candidat Ensemble, Tarik Mekki, qui n’a pas été qualifié au second tour, a appelé, ce lundi, à voter pour l'ancien député de La France insoumise.
Même Gérald Darmanin
Quant à Gérald Darmanin, qui avait accusé la NUPES de « bordéliser le pays », on comprend, soudain, mieux son peu d’entrain à dissoudre les officines violentes d’antifas telles que la Jeune Garde : son chef, fiché S - Raphaël Arnault -, devient de facto son allié et sera peut-être, bientôt, son voisin sur les bancs de l’Assemblée, de même qu’Aly Diouara, rival de Raquel Garrido et soutien de l’imam Iquioussen.
Ce serait follement drôle si ce n’était pas si tragique. Sans surprise, la candidate Nouveau Front populaire Leslie Mortreux a annoncé qu’elle se retirait pour faire barrage au RN (Bastien Verbrugghe) et laisser le champ libre à Gérald Darmanin. Précisons quand même, dans ce cas particulier, que l'on ne peut totalement exclure un coup de pied de l’âne. Car le désistement n’est réellement un bonus que si le candidat à soutenir est arrivé deuxième, derrière le RN : dans ce cas, la mise en retrait permet de rebattre les cartes du premier tour.
Mais Darmanin étant arrivé en tête, c’est se maintenir qui l’aurait en fait aidé, en « figeant » les résultats du premier tour et en gardant captif l’électorat macroniste, dont nul ne peut garantir, en cas de disparition de son premier choix, qu'il ne se rabattra pas, au moins pour partie, sur le RN par peur de LFI.
Le maintien, c’est, du reste, l’option qu’a choisie Loïc Signor, avec l'accord de Gabriel Attal, face à Louis Boyard, arrivé en tête dans la troisième circonscription du Val-de-Marne. Il a tout d’abord annoncé se désister, puis s’est rétracté, dans un communiqué sibyllin qui explique à demi-mot la stratégie tordue ci-dessus citée : « Pour ne pas contraindre [les électeurs] à choisir entre le RN et Louis Boyard j’ai pris la décision de me maintenir au second tour. » Il rajoute, en gras : « Mon maintien est une sécurité, la circonscription ne tombera pas dans les mains du RN. » Il « sécurise », donc, le siège de Louis Boyard. C'est drôlement gentil. Pour en revenir à Darmanin, baiser de la mort ou embrassade sincère, qu’un candidat du Nouveau Front populaire se désiste pour le ministre de l’Intérieur est éminemment symbolique.
Toutes ces petites manœuvres fonctionneront-elles ? Rien n’est moins sûr.
Car en plus d’une carte d’électeur, n'oublions pas que les Français ont quand même un cerveau. Ils ne sont pas la propriété de leur premier choix. Mais même si le but était atteint à court terme, les conséquences seraient délétères à long terme. Car elles gravent dans le marbre et l'esprit des Français l'existence d'un continuum - le macrenchonisme, donc - entre le Nouveau Front populaire et Ensemble : une différence de degré mais pas de nature.
L’immigrationnisme échevelé dont Emmanuel Macron a fait grief au NPF, c’est le sien en XXL. Idem pour le wokisme. Ou comment, à force de contorsions, se tirer une balle dans le pied.
Par Gabrielle Cluzel le 1er juillet 2024
Boulevard Voltaire