Arrivée samedi 28 octobre en Arménie, Marion Maréchal a passé plusieurs jours auprès des responsables et des populations touchées par la guerre. Visiblement émue, elle dit à BV le contexte, les échanges et les rencontres qui l'ont le plus marquée lors de ce voyage.
Marc Baudriller. La France semble relativement indifférente au sort de l’Arménie, contrairement à celui de l’Ukraine et d'Israël. Comment l’expliquez-vous ?
Marion Maréchal. Il y a plusieurs explications. La première est que Ursula von der Leyen [présidente de la Commission européenne, NDLR] a doublé l’importation de gaz azéri pour pallier la rupture de liens énergétiques avec la Russie. Une partie de ce gaz venu d’Azerbaïdjan est en réalité du gaz russe transitant par l’Azerbaïdjan. Deuxièmement, il y a une crainte à l’égard de la Turquie qui est un soutien de l’Azerbaïdjan dans le cadre de ce conflit de l’Artsakh. Aujourd’hui, comme depuis des années, la Turquie fait un chantage à l’immigration : elle menace d’ouvrir très grand ses frontières et de laisser se déverser potentiellement des millions de personnes. Par ailleurs, il y a aussi un affaiblissement de la voix de la France au sein même de l’Union européenne. Enfin, on connaît les relations privilégiées de l’Allemagne avec la Turquie, en raison de la très grande communauté turque en Allemagne. Et puis, dans le cadre du conflit russo-ukrainien, les tensions avec la partie russe rejaillissent dans ce conflit, car en l’occurrence, les Russes ont longtemps été les alliés des Arméniens face aux menaces de l’Azerbaïdjan. Toutes ces contingences entraînent le silence et l’absence de condamnation.
M. B. Si vous étiez au pouvoir, que demanderiez-vous à l’Azerbaïdjan et à la Turquie ?
M. M. Il faudrait une condamnation de la part de l’Union européenne et de la France à l’égard de l’Azerbaïdjan et de la Turquie. Il n’y en a pas eu. Il y a eu, plutôt, des marques d’amitié et de relations courtoises. Il faudrait demander une sanction pour l’Azerbaïdjan, comme ce fut le cas pour la Russie, en raison d’une violation du droit international. L’Azerbaïdjan a commis des crimes de guerre, une épuration ethnique, cela mériterait a minima une suspension du Conseil de l’Europe et un certain nombre de mesures, y compris économiques.
En ce qui concerne la Turquie, au regard des dernières déclarations extrêmement agressives d’Erdoğan à l’égard de l’Europe - il semble vouloir fédérer tous les pays soutenant le Hamas et superviser ce fameux conflit de civilisation entre ce qu’il appelle « la croix et le croissant » -, il faut définitivement mettre fin au processus de pré-adhésion qui a coûté, jusqu’ici, plus de 15 milliards d’euros aux contribuables européens.
Il faudrait également poser sur la table le débat de l’appartenance de la Turquie à l’organisation militaire de l’OTAN qui est censée garantir la sécurité de l’Europe. La France ne devrait pas remettre intégralement sa sécurité et son indépendance, en matière diplomatique et de défense, à cette organisation. Elle devrait prendre la trajectoire d’une indépendance maximale, sur les plans diplomatique, militaire et opérationnel.
M.B. Quels sont les témoignages qui vous ont le plus touchée parmi les Arméniens que vous avez rencontrés ?
M. M. Nous avons vu plusieurs familles de réfugiés, ainsi que des élus qui ont assuré leur accueil et leur insertion. J’ai le souvenir de cette étudiante qui était restée côté arménien et qui a retrouvé ses parents et ses petits frères. Eux avaient quitté le territoire de l’Artsakh à la fin de l’épuration ethnique. Ses parents étaient en état de sous-nutrition, comme beaucoup de réfugiés, en raison du blocus des aliments et des médicaments. J’ai rencontré un couple d’agriculteurs qui nous racontait être obligé de consommer la nourriture pour les animaux pour se nourrir. Ils ne pouvaient pas, non plus, se chauffer en raison des coupures de gaz et d’électricité. J’ai également été frappée par un témoignage particulièrement bouleversant d’une vieille femme avec ses enfants. Elle avait vu la grande croix de son village abattue par les Azéris. Elle en a pleuré, elle éprouvait beaucoup de difficulté à laisser derrière le monument aux morts de son village qui serait profané. Elle était bouleversée.
Un autre témoignage atroce : des parents, dont les deux petits garçons de huit et dix ans ont été décapités, ont dû repartir avec les corps dans la voiture durant l’exode car ils ne pouvaient plus accéder au cimetière et avaient peur des profanation qui allaient suivre.
J’ai été très frappée par leur regard vide, comme si une partie d’eux-mêmes était restée là-bas. Ils ne se plaignent pas des conditions matérielles mais du fait que, pour la première fois, il n’y aura plus d’Arméniens et de chrétienté sur cette terre de l’Artsakh à cause des profanations de cimetières, des destruction d’églises, de la conversion des églises en mosquées et de la destruction de tout symbole religieux. Pour les Arméniens, c’est très bouleversant.
M. B. Que disent ces Arméniens à la France ?
M. M. Ils conservent une grande affection pour la France, bien que la France n’ait pas été très audible dans ce dossier. Ils sont reconnaissants pour l’aide humanitaire et le partenariat militaire. Ils ont cependant un sentiment d’abandon. Ils nous disent : « Vous avez été présents pour l’Ukraine, soyez là pour nous ! »
Ils éprouvent une grande inquiétude pour l’avenir. Le conflit n’est pas fini. La réalité, c’est que l’Azerbaïdjan, poussé par la Turquie, commence déjà à grignoter des territoires arméniens montagneux. L’ensemble de l’Arménie est menacée.
Par ailleurs, au-delà de ce conflit, on voit se superposer un conflit de civilisation. On le voit dans la rhétorique islamique de la Turquie. Les Arméniens nous disent : « Attention, ce qui nous arrive aujourd’hui pourrait vous arriver demain, donc ne nous oubliez pas ! »
Entretien réalisé au téléphone le 31 octobre 2023
Par Marc Baudriller le 1er novembre 2023