Affichage des articles dont le libellé est Le Nouveau Conservateur. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Le Nouveau Conservateur. Afficher tous les articles

jeudi 2 mars 2023

Mer de Chine du sud : le centre du monde



Si demain un conflit ouvert se produit entre la Chine et les USA, il y a tout lieu de croire que ce sera dans la zone maritime qui sépare la Chine, le Vietnam, la Malaisie, les Philippines et Taïwan, la mer de Chine du Sud. Cette zone est en effet totalement stratégique pour la Chine comme pour les USA.

C’est le politologue américain Graham T. Allison qui a inventé et popularisé le concept du «Piègede Thucydide» et qui a remis à l’honneur le célèbre historien grec de l’Antiquité.

Il s’agit d’une «situation historique qui voit une puissance dominante entrer en guerre avec une puissance émergente poussée par la peur que suscite chez la première le surgissement de la seconde».

On peut dire que cette constatation relève du bon sens, qu’elle a été extrêmement courante au cours de l’Histoire, et qu’elle caractérise parfaitement les relations actuelles entre les USA et la Chine. En soi, elle n’est donc pas très intéressante ni originale. Ce qui est plus utile à analyser, par contre, ce sont les péripéties possibles de l’évolution des belligérants à l’intérieur de ce piège, et les raisons qui pourraient conduire à ce qu’une «montée aux extrêmes» se produise, où, quand et pourquoi.

Pour ce qui est de l’évolution des acteurs du conflit, tout comme aux premiers rounds d’un match de boxe, on constate qu’il existe souvent entre eux, à partir du moment où l’un comme l’autre se rend compte qu’un affrontement politique (mais pas nécessairement militaire) sera inévitable, une sorte de «période d’observation». Chacun tente d’abord de jauger l’autre, de l’amadouer ou au contraire (ou en même temps) de l’intimider, pour savoir comment il va réagir, s’il va finalement se soumettre ou si on va pouvoir le vaincre sans combattre. De même, on va tenter de se mesurer à lui sur des théâtres secondaires, où des «tests» – victoires ou défaites – seront possibles sans que les egos des protagonistes ne soient directement affectés.

Ces périodes peuvent durer très longtemps. Elles peuvent se conclure soit par un partage du monde (USA/URSS dans un premier temps), soit par la soumission totale de l’un des deux (USA/Japon après la Deuxième Guerre mondiale), soit par la chute de l’un des deux sans affrontement direct (ainsi en fut-il tout au long de la guerre froide entre les USA et l’URSS, jusqu’à la victoire finale des USA, en 1991), soit par une victoire militaire (chute du nazisme en 1945).

La «montée aux extrêmes» se produit souvent sans que les belligérants (s’ils préfèrent se jauger plutôt que se battre) ne l’aient expressément souhaité, mais de telle sorte qu’ils ne puissent l’éviter, soit parce que leur ego (et donc leur image) est directement touché, soit parce que la question est ultra-stratégique, soit parce que la friction, à cet endroit, est permanente. Lorsque toutes ces conditions sont réunies, tout laisse à penser, même si par ce fait même les belligérants vont y focaliser toute leur attention, que c’est là que l’explosion a le plus de chances de se produire.

Par rapport à la Chine, après une longue période où les USA ont semblé ne pas se rendre compte du danger, c’est aujourd’hui dans la phase de jauge et d’intimidation, de déclarations fortes, voire belliqueuses 2, que la relation s’est installée, 3 on ne sait pas pour combien de temps. Mais, en même temps, les conditions d’une «montée aux extrêmes» existent déjà, et toutes les conditions décrites plus haut y sont présentes.

Un article remarquable du Général Daniel Schaeffer, paru sur le site Asie21, nous donne, à ce titre, de précieuses indications. Il détaille la situation en mer de Chine du Sud, où la Chine tente aujourd’hui un coup de force, en se basant sur un tracé de partage des eaux datant de 1947 et défini unilatéralement (et juridiquement condamné), pour «privatiser» la quasi-totalité de cette mer, y compris les îles qui s’y trouvent 4 îles, pour certaines, déjà occupées et militarisées. Il y a évidemment, dans cette démarche, un fort intérêt de contrôle des routes maritimes et de sécurisation de ses exportations vers le détroit de Malacca et les marchés de l’Ouest. Il y a aussi la captation des ressources halieutiques et, bien sûr, celles des hydrocarbures qui s’y trouvent. Mais cela n’est que la surface des choses.

Ce que montre Daniel Schaeffer, c’est que se trouve, en plein dans cette mer, sur l’île de Hainan, la principale base militaire de sous-marins chinoise, dans le port de Sanya. Or les Chinois ont un problème de la plus haute importance : leurs missiles Julang-2, tirés depuis leurs sous-marins Jin, ne sont aujourd’hui pas suffisamment puissants pour frapper directement, en cas de riposte nucléaire, le territoire des USA. Ils auraient besoin pour cela de s’aventurer largemet dans le Pacifique, au moins jusqu’à Hawaï. Or la profondeur de la mer, en sortie de Sanya et jusqu’au détroit de Bashi, entre les Philippines et Taïwan, n’est pas suffisante pour que les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins puissent s’y fondre immédiatement dans la mer profonde. Lorsqu’ils quittent leur base, ils sont immédiatement repérés par tous les autres, y compris par les navires US qui patrouillent dans la zone et, on peut le penser, suivis ensuite à la trace. Il est donc pour eux tout à fait essentiel de chasser toute présence étrangère de la zone, ou du moins de la contrôler entièrement, de façon à sécuriser la sortie de leurs sous-marins vers le Pacifique.

Et le Général Schaeffer va même plus loin. En effet, le meilleur endroit, pour les Chinois, pour avoir accès directement aux grands fonds dès la sortie de leur base se situerait… sur la côte Est de Taïwan ! Là, en effet, ils pourraient disposer, à sept kilomètres des plages, de profondeurs de 1 300 m. Une configuration idéale pour menacer directement les USA. On comprend à quel point la conquête de la mer de Chine est pour eux essentielle, et celle de Taïwan bien plus encore.

  • 1 -Pour les Américains, la problématique est rigoureusement inverse. Tant que la menace des sous-
  • marins chinois reste limitée à la mer de Chine du Sud, ils sont moins en danger.
  • 2 – Le Président chinois a demandé à plusieurs reprises à l’armée (en octobre 2018 et en octobre 2020, notamment) de se préparer à la guerre avec les USA.
  • 3 – De par l’accélération hégémonique chinoise conduite par Xi Jinping depuis 2013 et la réaction de Donald Trump
  • pendant son mandat, de 2017 à 2021, une politique apparemment poursuivie par Joe Biden.
  • 4 – Du nord au sud : les Pratas, les Paracels, les Zhongsha Qundao, les Spratleys.
  • 5 – Et pour autant que les Chinois ne développent pas d’autres missiles plus puissants, ce qu’ils sont évidemment en train de faire avec les Julang
  • Deux géants politiques, dont l’un est hégémonique et l’autre ne pense qu’à lui ravir la place, s’affrontent dans une petite mer semi-fermée, où fourmillent une multitude de protagonistes, qui se côtoient avec des frictions permanentes, et où prédominent des intérêts stratégiques majeurs. Une «faille de San Andreas» politique, pourrait-on dire. La tension y augmentera, inévitablement, d’année en année. Si une éruption se produit un jour, il y a tout lieu de croire que ce sera là. La mer de Chine du Sud est, aujourd’hui et pour longtemps, le centre du monde.
Par François Martin le 24 février 2023

vendredi 28 octobre 2022

Ce que dit Vladimir Poutine



Voici plus de 20 ans que Vladimir Poutine dirige la Russie, homme politique de première importance, d’ailleurs longtemps perçu dans le monde, hormis l’hystérie de ses adversaires occidentaux, comme un homme mesuré, à la rationalité froide, donc prévisible. Dès 2007, il avait clairement annoncé à Munich que son pays ne pouvait supporter éternellement les provocations occidentales. Celles-ci se sont pourtant multipliées. Or, après ce que nous avons appelé ici la riposte Russe, ont ce mis à l’accabler des pires qualificatifs : fou, malade, isolé, irresponsable, brutal, etc. Mais, qui est véritablement ce Vladimir Poutine ? Que pense-t-il ? Nous avons demandé à notre collaborateur Jean-Luc Marsat d’inventorier ses déclarations dans leur continuité et d’en dégager les lignes de force. Nous poursuivrons ce portrait dans notre prochain numéro.

S’intéresser au mode de pensée et aux processus de prise de décision d’un haut responsable quelconque (chef d’Etat ou de gouvernement, patron d’entreprise, etc.) devrait être le souci permanent non seulement de ses vis-à-vis ou concurrents, mais aussi de tout analyste ou géopoliticien qui se respecte. Les différences de culture rendent l’exercice plus délicat, même si la culture slave et orthodoxe, européenne elle aussi, n’est pas trop éloignée de ses consœurs latine et germanique. Mais le modus operandi d’un esprit slave nécessite une certaine accoutumance pour être cerné ; à titre d’exemple tiré d’un passé récent : pénétrer la pensée d’un Jean-Paul II ne s’est pas fait d’emblée… Pour connaître Vladimir Poutine, le plus simple est d’aller à la source et de se reporter aux déclarations, discours et commentaires de l’intéressé lui-même, qui s’exprime régulièrement dans des manifestations à résonance mondiale qui se tiennent chaque année : le Forum Economique International de Saint-Pétersbourg (SPIEF, selon l’acronyme anglo-américain), au printemps, et la réunion du Club International de Discussions de Valdaï, au début de l’automne. Les citations du président russe relevées ci-après sont tirées des déclarations qu’il a faites en ces deux occasions. Plutôt qu’un portrait complet (requérant un travail plus fouillé), il sera donc procédé ici par touches mettant en lumière des aspects significatifs de sa vision de la Russie, de l’Europe, et du monde. 

La Russie d'aujourd'hui et d'hier

Vladimir Poutine est parfois caricaturé en homme du passé, encore attaché aux méthodes du KGB, vivant dans la nostalgie de l’Empire russe, de la Grande Catherine, de l’URSS. Nostalgique de la grande Russie (celle de Catherine II) qu’il voudrait restaurer ? Si l’on veut. On pourrait aussi dire qu’il a conscience d’une Russie, sinon éternelle, du moins pérenne, dont la résilience et la résistance trouvent leurs racines, entre autres, dans la rudesse du climat et les âpretés de l’histoire, ainsi que dans un sens aigu du collectif et de l’appartenance nationale. Il ne s’agit pas pour lui de restaurer un ordre ancien, mais de préserver des valeurs naturelles ou nationales immuables, au besoin en faisant réapparaître une réalité enfouie ou occultée. La « grande Russie » est aussi à prendre dans un sens culturel, spirituel ou moral. Lorsqu’il lui arrive d’évoquer Catherine II, c’est le plus souvent pour vanter sa magnanimité et sa sagesse : « Au cours de ses expansions territoriales, la Russie n’a jamais rendu difficile la vie des peuples intégrés à l’Etat russe unifié. Ceci s’appliquait à la religion, aux traditions et à l’histoire. Regardez les décrets de la Grande Catherine qui a donné ses instructions en termes clairs : traiter avec respect. » (Valdaï 2021).

Il n’a pas davantage de regrets de l’URSS et du régime bolchévique (qu’il moque en lui comparant l’Occident – cf. Valdaï 2021, infra). Ce qu’il regrette, c’est que la fin de l’URSS n’ait pu être maîtrisée : son effondrement brutal a aggravé les désordres et les turbulences qui l’ont accompagné, et la Russie a eu plus de mal à les résorber. Ce souvenir nourrit dans l’esprit de Poutine la nécessité de contrôler les évolutions et d’éviter les transformations radicales. Pour finir, il voit la Russie comme « un grand pays multi-ethnique, libre et sûr, qui prend lui-même ses décisions, détermine son futur, compte sur son histoire, sa culture et ses traditions, et rejette absolument toute tentative extérieure de lui imposer de pseudo-valeurs imprégnées de déshumanisation et de dégradation morale » (Valdaï 2021).

L'indispensable souveraineté

Beaucoup d’idées sont contenues dans le mot Souveraineté, sur lequel il revient souvent. Tout d’abord la souveraineté des États, à commencer pour la Russie, mais aussi pour le reste du monde : « seuls des États souverains peuvent effectivement répondre aux défis de notre époque et aux exigences des citoyens » (Valdaï 2021). La souveraineté telle que la voit V. Poutine pour le monde d’aujourd’hui est définie par quelques critères qui sont aussi des objectifs : « le rôle d’un pays, sa souveraineté et sa place (…) sont déterminés par plusieurs facteurs-clés », plusieurs capacités : « garantir la sécurité de ses citoyens, (…) préserver l’identité nationale, et contribuer au progrès de la culture mondiale. » Et «au moins trois facteurs supplémentaires : (…) le bien-être et la prospérité des personnes, (…) la réceptivité de la société et de l’Etat face aux changements technologiques de substitution, la liberté de l’initiative entrepreneuriale » (Spief 2019). La préservation de l’identité nationale lui semble d’ailleurs une finalité fondamentale ; elle concerne la langue, la culture, mais aussi le modèle économique que s’est choisi le pays pour lui-même.

En fait de relations internationales, la souveraineté est une condition de l’équilibre et de la stabilité du système mondial. C’est dans ce cadre que pourra être dessiné un modèle de développement plus stable et plus équitable (justice et stabilité allant de pair), discuté autour de quelques points centraux : « la souveraineté, le droit inconditionnel de chaque pays de fixer sa propre voie de développement, (…) la responsabilité du développement durable universel, pas simplement le sien propre » (Spief 2019). Ipso facto, il rejette donc, au nom de la souveraineté, l’idée d’un modèle unique et mondial de développement.

Par Jean-Luc Marsat le 28 octobre 2022

Lire la suite dans le numéro 8 du nouveau conservateur

lundi 3 octobre 2022

Giorgia Meloni: son discours de Vérone

 


La cheffe de file de Fratelli d’Italia, sortie vainqueure des élections politiques du 25 septembre, jette sur le monde un regard résolument conservateur. Ce discours donné dans la ville de Roméo et Juliette, à l’occasion du Congrès mondial de la Famille de 2019, prouve sa sagesse intérieure. Elle y pointe avec talent le grand péril de notre temps : l’effacement civilisationnel.  

« Pourquoi la famille est-elle un ennemi ? Pourquoi la famille est-elle si effrayante ? Parce qu’elle nous définit. Parce que c’est notre identité. Parce que tout ce qui nous définit est maintenant un ennemi pour ceux qui voudraient que nous n’ayons plus d’identité. Que nous soyons simplement de parfaits esclaves ou consommateurs. Et donc ils attaquent l’identité nationale, ils attaquent l’identité religieuse, ils attaquent l’identité de genre, ils attaquent l’identité familiale.

Je ne peux pas me définir comme une chrétienne, une italienne, une femme, une mère. Non. Je dois être citoyen X, sexe X, parent 1, parent 2… Je ne dois être qu’un numéro. Parce que, lorsque je ne serai qu’un numéro, je n’aurais plus d’identité ni de racines. Alors, je serai un parfait esclave à la merci des spéculateurs financiers. Le consommateur parfait.

Et c’est pourquoi nous leur inspirons tant de peurs. C’est pourquoi cet évènement, aujourd’hui, inspire tant de peur. C’est parce que nous ne voulons pas être des numéros. Parce que nous défendons la valeur de l’être humain, de chaque être humain. Parce que chacun d’entre nous a un code génétique unique qui n’est pas reproductible. Et qu’on le veuille ou non, c’est sacré.

Nous le défendrons. Nous défendrons Dieu, la patrie et la famille. Ces choses qui dégoûtent tant ces gens. Nous le ferons pour défendre notre liberté, parce que nous ne serons jamais des esclaves ou de simples consommateurs à la merci des spéculateurs financiers. C’est notre mission. C’est pourquoi je suis venue ici aujourd’hui. Chesterton a écrit il y a plus d’un siècle : « Des feux seront allumés pour témoigner que deux et deux font quatre. Des sabres seront dégainés pour montrer que les feuilles sont vertes en été ». Ce moment est arrivé. Et nous sommes prêts ! ».

Par Giorgia Meloni, Présidente de Fratelli d’Italia et vainqueur des élections législatives en Italie du 25 septembre 2022

Le nouveau conservateur

dimanche 1 mai 2022

Emmanuel contre Antigone



 « Un décor neutre. Trois portes semblables. Au lever du rideau, tous les personnages sont en scène. Ils bavardent, tricotent, jouent aux cartes. Le Prologue se détache et s’avance. »

Didascalies sobres par lesquelles s’ouvre la tragédie d’Antigone, reprise avec magnificence par Anouilh, qui en fit le requiem des Résistants. Au début de la pièce, tous les personnages sont déjà sur scène, pétrifiés à la façon des statues de sel, aux prises avec un clair-obscur qui annonce les matins de bataille. Il y a Créon, dans un coin, avec son air de vieillard soumis aux exigences du temps. Ce sont toujours les pires. Figure décharnée d’un ordre terrifiant, celui des Modernes, il s’évertue à laisser pourrir les corps au soleil, sans respect pour la foi, les déesses et le ciel. Puis il y a Antigone, princesse charismatique, à la fois Madone et Causette, et qui de sa chétivité s’apprête à se lever, toute seule, contre la fin d’un monde. Figure johannique et gaullienne, elle pourrait prêter ses traits à la France, tant elle semble, dans les lueurs antiques de la Grèce, en être la figure annonciatrice, l’étincelle primitive. De cette scène inamovible surgit soudain le Prologue, porte-voix du destin, qui de son index pointé fait entrer le tragique. Cela finira mal, et d’entrée de jeu le destin est scellé. Ainsi soit-il.

Et pour la Nation, il en va de même aujourd’hui

Le peuple de France, en ce matin terrible, s’est trahi lui-même. Abruti, apeuré et rapetissé par l’esprit du temps, il n’a pas au cœur le courage des grandes choses, mais tout au contraire l’égoïsme rentré des petits marchands. Cela changera, mais comme toujours, il faudra les épreuves pour arracher les Français à leurs chimères de loisir. Les Français se réveilleront en 40 et nous ne sommes pas en 40. Sommes-nous en 24, en 36 ou en 39 ? Mystère. Et pourtant, comme les baigneurs des rapides, nous entendons au loin le bruissement des catastrophes, celui des grandes chutes d’eaux qui nous bringuebaleront contre les rochers, en contrebas. A moins que, comme toujours jusqu’ici, une figure se lève du néant. Il paraît qu’il ne faut plus croire aux coups de la Providence. Et pourtant. Mais restent en ce matin les mots du Général, qui reviennent à la mémoire comme les poèmes de l’enfance. Il y parle de la France, mère nourricière que ses enfants blessent parfois.

Emmanuel le Horla

Aujourd’hui, le temps des troubles. Emmanuel, appelons-le par son prénom, erre comme un manant sur les pelouses du Champ de Mars, dieu de la guerre et du sang. Dans son discours de victoire, il n’y avait ni victoire ni discours. Simplement la torpeur. Ce sédatif qu’il administre à la France, comme pour la plonger dans une lente léthargie. Retirer aux choses leurs sens, des mots aux actes. Pauvre village Potemkine d’un menteur pathologique, qui jusqu’au bout continuera à prêcher le vrai pour défendre le faux. Emmanuel semble parfois se perdre dans certaines fièvres qui l’amènent loin d’ici, dans des paradis artificiels où son imagination se dégonde. Des voix étranges s’en viennent lui susurrer des choses. Et ce ne sont pas celles de Domrémy. Plutôt des suppliques mauvaises, celles du Horla. Des cris stridents.

Sa victoire est celle de Pyrrhus. Elle le condamne aux épreuves les plus rudes, et sans doute à se regarder mourir, sous la lumière rose, belle parce qu’ultime, du crépuscule blessé. Le sait-il seulement ? S’il joue parfois, comme son idole Mitterrand, à croire aux forces de l’Esprit, ce n’est qu’une posture de carnaval. C’est un laïque, une plante déracinée, un étranger aux nymphes. Il doit rêver à son triomphe. Laissons-le festoyer. L’acte I de la tragédie le prévoit. Et nul ne déroge aux alexandrins qui s’écrivent là-haut.

Faut-il croire aux théories freudiennes ? Pour les individus, chacun se fera son expérience, intuitu personae. Mais à cela pas d’interdit : l’inconscient des peuples, lui, demeure. Il mène le monde. Et les Français, ces dernières années, ont intériorisé en eux la reconduction du président sortant. C’est fait désormais. Ses seuls concurrents sérieux, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon (sans oublier le fantôme de l’abstention), constituent avec ses forces propres le carré politique de la France. Mais lui seul pouvait s’appuyer sur la médiocrité ambiante, ce brouillard empreint de petitesse et de lâcheté. Bien davantage que le bruit des bottes, il faut craindre décidément le silence ouaté des pantoufles. De cette apathie paralysante, la France pourrait mourir. Ce ne sera pas d’autre chose.

L’esprit pernicieux de la défaite

Emmanuel incarne, dantesque, cet esprit de défaite qui s’est emparé de la Nation. Il est le Daladier d’aujourd’hui : un centriste incapable de guider la France, et qui, se targuant de la morale et du cœur, entraîne le pays vers le chaos. Croire plus que jamais à l’indépassable maxime française, celle de Pascal : « L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête. ». Les maux du pays se résument à cette formule seule.

En lieu d’horizon, Emmanuel a proposé aux Français le vieux rêve de Guizot : « Enrichissez-vous ». Ainsi se danse la ronde des petits bourgeois repus, la carmagnole des vichystes d’aujourd’hui, courbés autant qu’ils sont devant les puissances étrangères.

Et les Français regardent passer les trains. Plus rien ne semble les choquer, les révolter, les animer. Chacun se réfugie dans sa communauté, sa corporation, sa solitude plus souvent encore, et organise autour de lui un petit univers clôt pour se protéger du grand monde. La Nation, l’Histoire et plus encore la grandeur paraissent des mots un peu vains. Ils sont à nos contemporains comme autant d’anachronismes. Des bêtes curieuses, issues du passé, que l’on observe au mieux avec nostalgie et au pire avec dédain. Ceux qui les prononcent suscitent le ridicule, le ricanement. La mode générale est de les tenir pour fous. Surtout si ce qu’ils disent vient du cœur. La sincérité est presque devenue de mauvais goût.

Et ces citoyens là, que l’on doit bien reconnaître majoritaires, méritent-ils seulement le beau nom de France ? Sont-ils autre chose que des héritiers indignes ? Eux qui passent les villages sans prêter attention aux églises et aux cimetières… Et les voilà qui se confondent dans l’avachissement mollasson. Le temps est aux séries, aux prêts immobiliers, aux glaces et aux ticheurtes. Il ne le restera pas longtemps encore.  La comptine hypnotique qui saisit le pays tout entier cessera bientôt d’émettre. Le temps des Hommes, du courage et du sacrifice, s’apprête à frapper de nouveau. Nous n’aurons pas le choix. Et si la France se meurt, et si elle doit mourir, qu’elle le fasse autrement que dans cette morbidesse sourde et mièvre.

Oui, les Français dorment et ne pardonnent pas à ceux qui tentent aujourd’hui de les réveiller. Ils acceptent leur sort misérable car la peur gagne leurs cœurs. Ils ne vivent plus, ils subissent. Et c’est cela sans doute le plus intolérable. Il faut donner raison aux sagesses d’Asie : le poisson pourrit d’abord par la tête. Car ce sont les élites, en premier lieu, qui désertent. Le fragment le plus populaire et le plus humble l’a prouvé dimanche encore, dans ses profondeurs. Lui était là.

Que les Français se réveillent d’un fracas soudain qui s’appelle l’honneur, qu’ils relèvent le gant !


Antigone, cette fois, ne doit pas mourir.

Par Valentin Gaure le 26 avril 2022