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samedi 24 septembre 2022

En Amérique latine aussi, la résistance au wokisme s’organise



Contrairement à ce que l’on pourrait de façon un peu superficielle penser, non, l’Amérique latine n’est pas complétement épargnée par la montée du mouvement woke. Dans des pays en développement, ce courant apparaît d’ailleurs encore plus déconnecté de la réalité des « gens ordinaires », s’harmonisant mieux avec les envies de safe space venant avec un certain confort.

Au Chili, le président Gabriel Boric représente bien cette nouvelle gauche dont les préoccupations ne sont pas exactement celles d’un peuple devant composer avec un taux d’inflation jamais vu depuis 1992 et la montée de l’insécurité. Un pays où le revenu annuel moyen était d’un peu moins de 13 000 euros en 2019.

Un wokisme à la chilienne

Élu en décembre 2021, le président de 36 ans a promis de rénover un pays de 20 millions d’habitants encore hanté par le régime Pinochet et où l’influence de forces conservatrices près des églises chrétiennes n’a pas fini de se faire ressentir. Le 4 septembre, au Chili, le rejet par référendum du projet de nouvelle constitution s’explique en grande partie par ce manque de complicité entre la population et ce courant quelque peu bobo dont les représentants ont souvent étudié en Occident.

62% des électeurs ont dit non à la nouvelle Magna Carta. L’un des principaux buts du projet était de faire une place de choix aux peuples indigènes, à l’égalité homme-femme et à l’environnement, auquel on accordait des droits sans demander aux citoyens des devoirs.

Deux gauches, deux projets complémentaires

Grosso modo, deux gauches en sont venues à coexister en Amérique latine : une gauche plus économique, plus « traditionnelle » et plus populiste, représentée par des politiciens comme le président mexicain, Andrés Manuel López Obrador, et une gauche plus identitaire, plus branchée et plus « woke », représentée par des politiciens comme Gabriel Boric.

Quant à lui, le nouveau président colombien, Gustavo Preto, apparaît comme une synthèse des deux courants, lesquels ne sont pas non plus totalement incompatibles. Le premier préfère la lutte des classes, le second la lutte des races, en somme, dans une civilisation marquée par de fortes inégalités héritées du régime colonial. En juin, c’était d’ailleurs la toute première fois de leur histoire que les Colombiens élisaient un président de gauche. Une citoyenne noire est aussi devenue pour la première fois vice-présidente : l’écologiste et féministe Francia Márquez.

Face au retour en force de la gauche sur le continent, au grand désarroi de Washington, mais aussi face à la critique de l’idée même de la famille, ils sont de plus en plus de figures publiques à s’opposer de manière décomplexée à ce qu’ils voient comme une décadence. Ils prennent la parole pour stopper la montée du transgenrisme, de l’écriture inclusive et d’un écologisme pour riches dans des pays comme le Mexique, où la seule culture du recyclage consiste pour les plus pauvres à récupérer divers matériaux pour des besoins plus économiques qu’écologiques.

Le phénomène Agustín Laje

Parmi ceux qui résistent : l’intellectuel Agustín Laje, un Argentin de 33 ans, plus motivé que jamais à faire battre en retraite cette gauche woke. Comment ? D’abord, en fédérant toutes les forces de droite (conservatrices, libertariennes, libérales, patriotes etc.) sous la bannière d’une « Nouvelle Droite » hispanophone – à ne pas confondre avec la Nouvelle Droite française, nuance qu’il fait lui-même.

Agustín Laje multiplie les interventions publiques et les conférences aux quatre coins de l’Amérique latine, suivi par 627 000 personnes sur Twitter et par 520 000 sur Facebook. On comprend vite le sérieux de sa démarche quand on lit qu’il reçoit l’appui du célèbre commentateur américain Ben Shapiro, du président du parti Vox en Espagne, Santiago Abascal, et de l’un des fils du président brésilien Jair Bolsonaro, le député fédéral Eduardo Bolsonaro.

Dans son récent ouvrage La Batalla cultural publié aux éditions HarperCollins, Agustín Laje retrace la généalogie de cette gauche selon laquelle il faut déconstruire la culture au nom d’un paradis diversitaire à venir. Il termine avec de fortes propositions programmatiques en vue de rétablir l’ordre culturel garant du maintien d’un « nous ». L’auteur estime que Mai 68 est un tournant à partir duquel la gauche a délaissé en bonne partie l’économie pour se concentrer sur la culture comme instrument supposé de domination.

« J’espère que ce livre pourra servir à tous ces “guérilleros culturels” qui, aujourd’hui dispersés et fragmentés, mènent avec bravoure leurs batailles culturelles. J’espère que nous pourrons un jour former quelque chose de plus grand que nos petites cellules politiquement incorrectes », écrit-il.  Lequel des deux camps remportera la bataille ?

Par Jerôme Blanchet-Gravel le 20 septembre 2022

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