Les Français ont décidément un incroyable talent dès lors qu’il s’agit de résoudre, la mine grave, des problèmes qui ne se posent pas. L’ubuesque polémique relative à des jets de peinture blanche sur une statue de Victor Hugo, trônant à Besançon sur l’esplanade des Droits-de-l’homme, survenue ce lundi 21 novembre, le démontre mieux que bien.
L’œuvre est signée Ousmane Sow, sculpteur sénégalais à l’immense talent. Pour le situer, on dira qu’on échangerait bien la plus modeste de ses créations contre l’œuvre entière d’un Jeff Koons, faisan emblématique de l’art conceptuel dont l’un des acheteurs les plus frénétiques n’est autre que Bernard Arnault, équivalent contemporain, en matière de jobardise friquée, du Monsieur Jourdain de Molière.
Pour Anne Vignot (EELV), mairesse de tous les Bisontins et de toutes les Bisontines, l’affaire est entendue, dès le lendemain : « Les valeurs de la République, à côté de Victor Hugo, c’est liberté, égalité, fraternité, solidarité et, surtout antiracisme. » Après le triptyque républicain, place au quinté dans l’ordre, en quelque sorte. À lire Le Point, « à Besançon, des néonazis "blanchissent" des œuvres d’art municipales ».
Pour L’Est républicain, la cause est là aussi d’avance entendue : « Anne Vignot a porté plainte après ces dégradations ressemblant à un "white facing", et on ignore quel était le message des malfaiteurs. » Bref, ça se complique. « Néonazis » ou pas ? Ce, d’autant plus qu’un « black face », on connaît. C’est un Blanc qui se grime en Noir. Mais un « white facing » ? Laver plus blanc que blanc ? C’est le sketch de Coluche. Plus blanc que blanc, c’est aussi transparent qu’Anne Vignot.
L’histoire est d’autant plus baroque que Béatrice Soulié, veuve de l’artiste, affirme au Point : « C’est un acte raciste. C’est une œuvre magnifique. Je suis très triste de cette violence et du monde actuel qui lui laisse place. […] Cette polémique née autour de la statue de Victor Hugo, ce n’est pas un problème artistique, c’est politique. » Il est vrai qu’il faut aussi prendre en compte ce menu détail : la statue du grand homme, coulée dans le bronze, vient d’être rénovée.
Le gag, c’est que sur l’affaire, Béatrice Soulié a dit à peu près tout et son contraire, si l’on en croit Télérama : « Elle a, dans un premier temps, exprimé sa déception face à un "Victor Hugo noir qui n’a jamais été l’intention d’Ousmane" et signalé un problème au niveau de la "chemise très blanche et le collier de barbe". » Pour tout arranger, nous dit l’hebdomadaire, « les Bisontins étaient habitués, depuis vingt ans, à côtoyer un Victor Hugo aux tonalités plus vertes ».
Pas la peine d’avoir fait les beaux-arts pour savoir que le bronze, c’est sombre. Sculpté dans ce noble métal, même David Bowie pourrait ressembler à Louis Armstrong et Fabrice Luchini à Omar Sy. Pis : le bronze est connu pour devenir verdâtre, quand il est exposé aux éléments. Lui rendre sa couleur d’origine ne signifie en rien une quelconque stigmatisation de nos amis Martiens ou même de ce brave Shrek, l’ogre flatulent qu’on sait. Bizarrement, sont moins de notoriété publique les influences artistiques d’Ousmane Sow, tel qu’en témoigne sa fiche Wikipédia : « C’est en 1984, inspiré par les photos de Leni Riefenstahl représentant les Nouba du Sud-Soudan, qu’il commence à travailler sur les lutteurs de cette ethnie et réalise sa première série de sculptures : Les Nouba. En 1988 naîtront Les Masaï, en 1991 Les Zoulou et, enfin, en 1993, Les Peul. »
Comment se fait-il que ceux qui se réjouissent des déboulonnages de statues de tel ou tel personnage historique s’indignent d’un jet de peinture sur celle de ce brave Victor Hugo qui, tour à tour royaliste et républicain, laïcard et bondieusard à la fois, en a sûrement vu bien d’autres ? À moins qu’Anne Vignot ne nous éclaire de ses lumières, on ne voit pas.
Par Nicolas Gauthier le 24 novembre 2022
Boulevard Voltaire