À défaut de bien connaître les Français, Chems-eddine Hafiz, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, connaît bien la rhétorique que la France a héritée de la culture gréco-romaine. Il en a retenu, non pas cet art de bien parler qui, pesant le pour et le contre de façon impartiale, se met au service de la vérité, mais ses pires dérives dont abusaient les sophistes pour démontrer, avec autant de conviction, tout et son contraire. Dans une tribune publiée dans Le Monde du 7 mai, il s'en prend ainsi aux « véritables ennemis de la communauté nationale », qui ne se trouvent pas parmi « les millions de musulmans anonymes qui ne demandent qu'à vivre en paix », mais parmi ceux qui les stigmatisent.
Son propos eût été plus convaincant s'il avait cherché à montrer que la majorité des Français de confession musulmane cherchent à s'assimiler, pour vivre comme des citoyens français, et s'il avait condamné toutes les pratiques islamiques qui conduisent certains quartiers au séparatisme. Il aurait pu expliquer la différence entre l'islam et l'islamisme, appeler les autorités musulmanes à lever les ambiguïtés du Coran, à distinguer clairement le religieux du politique, à respecter le principe de laïcité, ce qui suppose que, dans la vie publique, on fasse preuve de discrétion sur sa foi.
Au lieu de cela, il condamne « les gesticulations et les braillements des troubadours politico-médiatiques », « les divagations de ces dangereux charlatans », qui régneraient dans les médias et sur les réseaux sociaux, ces « marchands de peur » qui seraient « les véritables adeptes du grand remplacement » et viseraient à « remplacer un peuple fier et fort par des individus égoïstes et tourmentés, au sein d’une nation qu’ils veulent fragile et désorientée ». Vous l'aurez compris : les véritables ennemis de la France, ce sont les Zemmour, les Le Pen et tous les patriotes qui ont l'ambition de sauvegarder la culture et l'identité française.
Le recteur de la Grande Mosquée de Paris ne se contente pas de ce renversement dialectique, qui use de l'amalgame à rebours, comme savent si bien le faire l'extrême-gauche et, à sa manière, la Macronie, qui veut se refaire une virginité en prenant le nom de « Renaissance », comme s'il suffisait de changer de nom pour changer de nature. Il estime que ces « pervers de la République la déshonorent » et qu' « il est temps de les arrêter » en leur répondant « dans les urnes et dans les tribunaux ». Il en appelle à « la conscience française », aux intellectuels pour qu'ils dénoncent explicitement « les attaques contre l’islam et les musulmans ».
Bien plus encore, considérant que le vote des musulmans à l'élection présidentielle « oblige en premier lieu le président de la République réélu », il exerce sur lui – et avec lui sur tous les Français – une sorte de chantage en laissant entendre qu'il faudra compter, dans l'avenir, avec le vote musulman. Rappelant une évidence, à savoir que « les musulmans vivent et vivront en France en citoyens égaux en droits et en devoirs », il les invite à affirmer leur identité dans les urnes, ce qui est tout le contraire de l'égalité citoyenne et une façon de justifier le vote communautaire. À bon entendeur, salut.
Par Philippe Kerlouan le 7 mai 2022