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jeudi 7 juillet 2022

La gauche du bluff



La capacité de bluff de la gauche est… bluffante. Ce mardi encore, Jean-Luc Mélenchon expliquait avec son aplomb habituel : « Avec 1,5% des voix en plus (aux législatives) la Nupes avait la majorité absolue. Mélenchon Premier ministre, c’était possible. » 1,5%, c’est environ 300 000 voix. C’est déjà bien plus que les 16 000 voix que le fanfaron de LFI jugeait manquantes au lendemain du scrutin. Mais il est encore (très) loin du compte !

Toutes nuances confondues (la Nupes plus le PRG et les dissidents), la gauche obtient au premier tour, le 12 juin 2022, un total de 6 676 550 suffrages, soit 29,36% des exprimés. Moins d’un électeur sur trois a mis un bulletin de gauche dans l’urne. Moins d’un sur sept, si l’on tient compte de l’électorat inscrit ! Dans toute l’histoire de la gauche, ce n’est arrivé qu’à trois reprises : en 1993 (26,7% des exprimés), à l’agonie de second mandat de François Mitterrand, en 2017 lors de l’irruption du jeune président Macron, et donc, en cette année 2022. Encore faut-il remarquer que le total des voix de gauche en 1993 (7 440 729) était supérieur de près de 800 000 à celui de cette année !

Dans les années soixante-dix et quatre-vingts, avec beaucoup moins d’inscrits qu’aujourd’hui, la gauche PS-PC-PSU-MRG recueillait systématiquement plus de 10 millions de voix (13 millions en 1978 et même 13,7 millions en 1981 !). Elle en est à la… moitié. En pourcentage, son influence a même été divisée par près de trois : en 1981 elle représentait 37,64% des inscrits. Cette année, le chiffre est descendu à 13,74%.

Retour vers 2002

Certes, il n’est pas nécessaire d’obtenir 50% des voix pour avoir la majorité absolue des sièges, mais avec 26%, le score de la Nupes, c’est strictement impossible. La perte de la majorité absolue par la coalition « Ensemble » d’Emmanuel Macron, qui réalise exactement le même score, le prouve.

Ajoutez à cette faiblesse en suffrages une géographie mitée du vote Nupes, qui aggrave le mauvais score global, et vous aurez une « gauche unie » en retard de cent sièges sur « Ensemble », plus homogènement réparti sur le territoire. Les troupes de Jean-Luc Mélenchon et de ses affidés Faure, Roussel et Bayou ont été littéralement chassées des zones rurales et de la vieille France désindustrialisée, car elles n’ont parlé qu’aux électeurs des métropoles et des banlieues. Si bien qu’avec un total de 163 fauteuils sur 577 au Palais Bourbon, la gauche de 2022 fait pâle figure face à celle de 2007, pourtant année de défaite électorale. Aux législatives qui avaient suivi l’élection de Nicolas Sarkozy, elle avait obtenu 227 élus. La gauche d’aujourd’hui se trouve à égalité avec celle de 2002, année de l’élimination de Jospin et de la qualification de Le Pen père au 2e tour de la présidentielle…

La gauche rêve d’une campagne électorale permanente

Il faut rendre justice à Jean-Luc Mélenchon : avec si peu de munitions, il arrive à faire beaucoup de bruit, et pas seulement en transformant l’hémicycle du Palais Bourbon en amphithéâtre de fac occupée par les gauchistes. Il a accaparé la campagne des législatives avec son slogan : « élisez-moi Premier ministre », et il a parasité en partie la déclaration de politique générale d’Elisabeth Borne avec une motion de censure vouée à l’échec. Deux coups médiatiques qui plaisent aux journalistes qui n’ont d’yeux que pour lui, mais ce sont des coups d’épée dans l’eau. Peu importe : l’essentiel est de monopoliser l’attention. Et de rester en vedette sur la scène, en attendant une possible dissolution de l’Assemblée pour retourner aux urnes.

Jean-Luc Mélenchon ne le cache pas. Après son échec au premier tour de la présidentielle, puis celui de la Nupes aux législatives, il vise un 5e tour. Puis un 6e… et pourquoi pas plus ! Il a de la persévérance, mais c’est justement ce qui peut le condamner à rester indéfiniment dans une opposition stérile. S’il persiste dans sa politique flattant les bobos des centres-villes et le communautarisme des banlieues, il n’a aucune chance de se rapprocher des électeurs de la France profonde qui le boudent et qui lui seraient indispensables pour arriver, enfin, aux responsabilités du pays…

Par Patrick Fluckiger le 7 juillet 2022

Causeur

samedi 2 juillet 2022

Le débraillé revendiqué de La France insoumise



Selon le sociologue québecois, le refus volontaire de l’élégance et la goujaterie dans lesquels s’abîment plusieurs députés Nupes traduit leur vision du monde.

Ces derniers jours, deux groupes de députés qui ne refusent pas nécessairement de se faire appeler populistes sont entrés à l’Assemblée nationale. Mais s’ils se réclament tous les deux du peuple, ils ne s’en font pas la même idée.

On l’a d’abord vu chez les députés du RN, qui avaient reçu la consigne de se vêtir correctement, les hommes devant s’y présenter en costume cravate, les femmes en tailleur ou autre tenue semblable. Il fallait se plier aux codes de l’institution, en respecter les usages, ce qui pour le commun des mortels va de soi. On ne se présente pas en tongs et bermuda à un entretien d’embauche. Et on ne se présente pas à l’Assemblée nationale en bras de chemise. Hélas, ces évidences de bon sens n’en sont pas pour une bonne partie du contingent parlementaire de La France insoumise, qui ne voit rien de solennel dans le fait d’entrer à l’Assemblée, et qui s’y est présentée de la manière la plus débraillée qui soit - on a tout de suite compris qu’il s’agissait d’un débraillé militant, qui consiste à faire un pied de nez à l’institution où on met les pieds, manière comme une autre de la soumettre et d’en prendre possession.

Certains osent même dire qu’ils arrivent à l’Assemblée en s’habillant comme le peuple. Ils oublient que le peuple sait respecter les usages et distingue une tenue de soirée d’une tenue de barbecue. Ils témoignent ici surtout d’une conception plébéienne du peuple. N’en soyons pas surpris: la gauche idéologique a autrefois critiqué la culture humaniste en la réduisant à une culture bourgeoise, qu’il fallait pour cela déconstruire parce qu’elle biaisait la société à l’avantage des privilégiés. C’est pour la même raison qu’elle marque son mépris de l’élégance.

L’élégance est un souci de l’autre

Cette petite polémique moins superficielle qu’il n’y paraît cache une grande querelle. Appelons-la la querelle de l’authenticité. Elle pose la question de notre rapport aux normes sociales. Ces dernières sont-elles civilisatrices, ou oppressives? La civilisation est-elle une œuvre patiente, qui évolue, mais prétend chaque fois imposer une forme à l’informe, tirer vers le haut l’être humain, en le forçant à se tenir droit, ou n’est-elle finalement qu’une conspiration contre notre liberté originelle?

Le progressisme des dernières décennies a rompu avec cette exigence de tenue, au nom d’une éthique de l’authenticité qui renverse le rapport à la norme sociale. L’enfer, c’est les autres, affirme notre contemporain, et c’est en m’arrachant aux normes sociales que je pourrai, en plongeant au fond de moi-même, trouver ma vérité intérieure, renouer avec elle, et revenir au cœur de la cité enfin émancipé, délivré. Il croit même pouvoir congédier la part de la nature en lui.

On oublie pourtant que l’homme qui n’est plus que lui-même, renonçant à l’héritage comme aux usages, et se croyant maître et créateur de son monde, n’est souvent plus grand-chose: un petit tas de ressentiment obsédé par sa singularité introuvable. La grâce n’est pas donnée à tous, et la plupart d’entre nous avons besoin de la tradition pour nous apprendre à vivre. Ignorant qu’on se construit à partir de ce que la civilisation nous offre, naturellement à partir de ses dispositions personnelles, l’homme contemporain ne se construit pas.

Je ne serai que moi, mais je serai absolument moi: telle est la conviction de notre contemporain, qui consent ainsi, derrière un vernis philosophique, à un relâchement fainéant, et qui se donne aussi le droit de verser ainsi dans la pire goujaterie, par exemple, en refusant de serrer la main à un adversaire. Un homme qui se comporterait ainsi nous rappellerait qu’il n’est pas un homme mais un individu en crise d’adolescence. La goujaterie aime s’anoblir en fanatisme grossier.

La tenue n’est pas une affaire de coquets. L’élégance est un souci pour l’autre. Qui porte la cravate à l’Assemblée ou même en société envoie le signal qu’il respecte les codes mais aussi qu’il sait distinguer l’intime du public. Il n’est demandé à personne d’être un dandy: il est demandé à tous de faire un effort. Et chacun saura ensuite, en jouant avec ces normes, ajouter sa touche personnelle, comme il en a toujours été.

Il n’est pas interdit de croire qu’au-delà de la mouvance insoumise certains commencent à le ressentir. Ce qu’on appelle aujourd’hui le renouveau de l’art sartorial, autrement dit, le souci de l’élégance masculine, témoigne toutefois peut-être d’une prise de conscience qui dépasse simplement le désir de s’habiller adéquatement. S’il demeure minoritaire, on peut croire qu’il rejoint une exigence intérieure qui n’a rien de frivole.

Quoi qu’on en pense, le vêtement est un langage, un signal envoyé à la société, et nul besoin d’être un partisan du «c’était mieux avant» pour constater, en regardant une photo d’époque, que les hommes d’hier savaient se tenir et que ceux d’aujourd’hui sont, comme on dit, déconstruits.

Par Mathieu Bock-Côté le 1er juillet 2022

Le Figaro

samedi 14 mai 2022

Russie / Occident : Marchons-nous vers la guerre ?

 

Mathieu Bock-Côté: «Ce qui pourrait redonner vie à la droite»


Par Matthieu Bock-Côté le 14 mai 2022

Le scénario politique qui semble s’écrire en direct annonce pour les prochaines années un étrange débat public pour la France: un espace politique désormais configuré à travers l’affrontement entre le progressisme européiste de la majorité macronienne et la gauche radicale ralliée autour de Jean-Luc Mélenchon, avec une droite en lambeau, écartée entre son résidu traditionnel et sa part populiste en déroute.
Plusieurs en sont encore sonnés: ne répétait-on pas depuis plusieurs années que le pays était à droite et que ses préférences idéologiques allaient finir par se traduire en une majorité politique? Que s’est-il passé? La droite est-elle condamnée à l’invisibilité politique, dans une configuration où elle ne sera à peu près plus rien, à moins de s’annexer à la majorité macronienne, pour en représenter une nuance de plus?
Il faut d’abord revenir sur l’illusion d’une décennie intellectuelle, pour mieux voir comment la droite s’est décomposée. 
On la résumera ainsi: la droite a voulu se croire majoritaire dans le pays, et au seuil, pour cela, du pouvoir, qui lui reviendrait de droit. Mais elle avait tort de se croire majoritaire. On me pardonnera de reprendre une formule dont j’ai souvent fait usage: la gauche a été si longtemps hégémonique qu’il lui suffit d’être contestée pour se croire assiégée, alors que la droite a été si longtemps dominée qu’il lui suffit d’être entendue pour se croire dominante. Parce qu’elle s’est vue exister à la télévision pendant quelques années, la voilà qui croyait exercer désormais à son tour l’hégémonie idéologique. Mais dès que le régime diversitaire se sent fragilisé, il se braque et mate le rebelle qui entend critiquer non plus seulement les dérives du progressisme mais ses fondements. Il dispose de vastes ressources médiatiques et juridiques pour arriver à ses fins, si nécessaire. C’est ce qui s’est passé.

Il y a pourtant une toute petite part de vérité dans la prétention de la droite: si la droite n’est pas majoritaire en matière économique, sociale ou sociétale, en France, elle l’est toutefois autour des questions régaliennes et identitaires. À peu près tout confirme l’existence d’une majorité souhaitant en finir avec l’immigration massive et désirant entreprendre la reconquête des quartiers qui se dérobent à la souveraineté et aux mœurs françaises. En deux mots, sur la question identitaire, la France est à droite.
Mais le régime diversitaire est justement constitué autour de la censure de la question identitaire, et constitue un dispositif inhibiteur pour l’empêcher de prendre forme politiquement, ou du moins, pour l’émietter et la déformer. Ainsi, les sondages n’en finissent plus de saucissonner la question identitaire en dissociant l’identité de l’immigration, de la laïcité et de la sécurité. Quant à cette dernière, elle s’émiette en milliers de faits divers éparpillés, censés intéresser les esprits vulgaires, sans envergure, les yeux rivés sur une vie quotidienne périphérique n’ayant aucune portée symbolique ou sociologique.

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