Identité ou Souveraineté, de ces deux paradigmes majeurs, et profondément liés l’un à l’autre, lequel doit-il primer ? Telle est la question que se pose Patrick Mignon se livre ici à une recherche théorique sur un sujet qui vient tôt ou tard à l’esprit de tous les souverainistes. Bien des exemples l’illustrent ; la Pologne : privée de toute souveraineté pendant les longues décennies du Pacte de Varsovie, la Pologne n’en a pas moins su protéger son identité nationale la plus ancrée ; à l’inverse, que vaudrait la souveraineté d’une Nation qui aurait perdu l’essentiel de son identité propre ? Question ancienne, vaste et fort complexe, à laquelle Patrick Mignon, officier de réserve, ancien commandant de bord chez Air France, vice-président de Debout la France (DLF) de 2014 à septembre 2019, et désormais porte-parole de Via, s’attelle ici avec beaucoup de courage… et de brio.
Identité et Souveraineté, quel est le paradigme premier ? Lequel commande l’autre ? En faveur de l’identité s’inscrit celui qui considère qu’un monde multiculturel est nécessairement multi-conflictuel ; et qu’une immigration hors de contrôle comme celle que subit la France, important toutes les cultures d’origine des immigrants, ne peut que conduire à un formidable accroissement des conflits, donc de l’insécurité. Le lecteur attentif notera que nous ne parlons pas ici du sentiment cher à l’actuel Garde des Sceaux mais bien de l’insécurité culturelle : celle de l’identité.
Mais, lui répondent les tenants de la souveraineté, si la France n’a pas la capacité d’exercer sa souveraineté, elle n’est plus capable de prendre des dispositions juridiques qui lui permettraient d’agir sur l’immigration, donc l’identité. Les structures supranationales – CJCE, Cour de Justice des Communauté européennes, et CEDH, Cour européenne des Droits de l’Homme – lui opposant des règles intransgressibles. Il faut donc, selon les souverainistes « purs et durs », restaurer d’abord la souveraineté. Pour ceux qui privilégient l’identité, cependant, il faut d’abord, ne serait[1]ce que pour pouvoir rétablir la souveraineté, restaurer l’identité, et donc insister sur l’impératif, ou le préalable, de l’assimilation. Rude tâche ! Malika Sorel, a souvent décrit les renoncements successifs des politiques : passant de l’assimilation à l’intégration, puis de l’intégration à « l’insertion ». Ajoutons que, aujourd’hui, on n’est même plus dans l’insertion mais dans l’adaptation ; et ceux qui doivent s’adapter ne sont pas ceux que l’on croit. La non-assimilation et la désintégration sont à la fois les causes et les marqueurs de la perte d’identité.
Pour Pierre-André Taguieff (voir Le dictionnaire du conservatisme, éd. du Cerf), il n’y a pas seulement crise des identités mais « crise de l’identité », c’est-à[1]dire de l’idée même d’identité. Seules les notions d’insertion et d’adaptation sous-tendent le monde des progressistes, survalorisant l’individu hédoniste, narcissique mais « connecté ». Étant de « nulle part », on ne leur demande que de « s’adapter » pour « s’insérer ». Pour ces nomades, l’identité n’est plus qu’individuelle, en somme un “profil”. On comprend bien que la notion unitaire d’identité nationale soit insupportable aux progressistes pour lesquels, comme l’écrit aussi Taguieff, « plus l’identité personnelle est valorisée, plus les identités collectives sont suspectées, voire stigmatisées » (Taguieff, op. cit.)
Déconstruire l’un et déconstruire l’autre
Ainsi l’impérieuse nécessité de la déconstruction chère à Bourdieu se comprend-elle aisément. Celle-ci serait même sans risques ; Alexis de Tocqueville affirmait, dans L’Ancien Régime et la Révolution, que le peuple français est « tellement mobile […] qu’il finit par devenir un spectacle inattendu à lui-même et demeure aussi surpris que les étrangers à la vue de ce qu’il vient de faire ». Mais le monde d’aujourd’hui n’est plus celui de Tocqueville, la puissance française n’est plus en compétition pour la première place. Sa démographie s’est écroulée. La remise en cause du roman national, de l’histoire millénaire de la France, veut faire sortir la France contemporaine de l’Histoire en faisant de nous, peuple français, un « Peuple sans histoire » (Taguieff). N’oublions pas l’avertissement d’Aldous Huxley : « qui contrôle le passé contrôle l’avenir, qui contrôle le présent contrôle le passé ». L’identité nationale française est une identité construite, forgée par deux mille ans d’histoire, transmise de génération en génération.
Que voyons-nous du côté des tenants de la souveraineté en premier ? Eric Anceau rappelle que « le discours prononcé par Philippe Séguin le 5 mai 1992 à l’Assemblée Nationale peut être vu comme l’acte fondateur du souverainisme français ». La date de naissance du concept de souverainisme serait donc bien moins ancienne que celle de l’identité. Mais est-ce bien certain ? Certes, formellement, le mot est récent, ayant été à notre connaissance utilisé lors du référendum sur l’indépendance du Québec en 1980 et en France par Paul-Marie Coûteaux lors de la campagne référendaire sur le traité de Maastricht en septembre 1992. Mais ce que le souverainisme sous-tend est le principe de Souveraineté et il n’est pas contestable que celle-ci fut une quête permanente tout au long de notre plus lointaine histoire.
Il ne saurait y avoir de souverainisme sans souveraineté, ni de souveraineté sans souverain. Aujourd’hui dans la forme républicaine de la Nation, le seul souverain est le peuple. De l’identité ou de la souveraineté, quel serait donc le concept primordial ? Nous n’avons pas la prétention de trancher ici ce débat entre des intellectuels de renom et des dirigeants politiques de premier plan. Mais peut-être pourrions-nous proposer une troisième voie qui rassemblerait les deux premières ? Le conservatisme de tradition ne pourrait-il mettre d’accord les différentes options et éviter de diviser encore et toujours un camp qui d’évidence est majoritaire mais que la dispersion des voix fait et fera encore et toujours perdre ?
Et si la question revenait à celle de la Tradition ?
Après tout, l’identité aussi bien que la souveraineté se sont construites sur le temps long. Ce qui implique nécessairement pour l’une et l’autre une transmission de génération en génération. Tel est peut-être le fin mot de l’affaire, qui suppose un troisième terme, la Tradition, dont Gustav Malher écrivait joliment qu’elle « n’est pas le culte des cendres, mais la transmission du feu. » Le feu tel que le conservateur se donne pour mission de le transmettre, si possible de plus en plus vif au fil du temps. Contrairement aux affirmations des progressistes en général et de la gauche révolutionnaire en particulier, le conservatisme n’est donc pas, par définition, « réactionnaire » ni « rétrograde ». Par sa passion de la transmission, le conservateur ne peut qu’aller de l’avant : nulle transmission n’est possible aux ancêtres…
Que leur projet pour la France soit d’abord axé sur l’identité ou sur la souveraineté, les conservateurs considèrent généralement que les trois cercles qui garantissent le développement harmonieux de l’Homme – c’est leur but – sont hérités du passé – et même du passé rayonnant dans le présent : la Famille, la Commune (groupement de familles dans un territoire commun à dimension humaine) et la Nation. Précisément les trois cercles que les progressistes veulent détruire pour n’avoir plus que des consommateurs digitalisés, habitants indifférenciés du “village-monde” : ventres, bras et cerveaux “à louer” – « anywhere », comme ils disent… Le conservatisme de tradition que nous voulons s’oppose à toute volonté de tabula rasa, qu’elle soit d’inspiration marxiste ou capitaliste. Nous n’oublions pas Simone Weil : « Le passé détruit ne revient jamais plus. La destruction du passé est le plus grand des crimes. ».
Ainsi, pour mettre d’accord les tenants de la poule et ceux de l’œuf, soyons conservateurs !
Par Patrick Mignon, porte-parole de VIA – La Voie du Peuple, le 3 mai 2022