L’irruption sur la scène politico-médiatique de Fouad Ahidar, autrefois socialiste flamand, pourrait être un tournant politique majeur en Belgique. Aux dernières élections de juin, son parti a obtenu trois députés bruxellois (et un élu au Parlement flamand) après une campagne menée à destination de la communauté arabo-musulmane. L’homme, qui est l’objet d’une plainte après avoir qualifié les juifs de « psychopathes » et qui a décrit les événements du 7 octobre comme une « petite réponse d’une partie du Hamas », est le nouvel étendard du vote communautaire. À terme, il pourrait s’accaparer une part grandissante des suffrages dans une capitale où se côtoient toutes les nuances d’un islamo-gauchisme plus que jamais soudé par les événements au Proche-Orient.
Inquiétant contexte
Remettons-nous dans le contexte bruxellois. Plus que nulle part ailleurs, l’antisionisme et la dénonciation d’Israël y sont souvent le cache-sexe de sentiments bien plus fangeux. La recrudescence de l’antisémitisme dans la capitale belge a ainsi été clairement mise au jour par un récent sondage à l’occasion duquel 22 % des « Bruxellois » ont déclaré leur aversion pour les Juifs ; 41 % que ceux-ci contrôlent la finance et 40 % qu’ils dirigent les médias – pourtant plutôt complaisants à l’égard la cause palestinienne, sans oublier le boycott par la chaîne publique flamande de la chanteuse israélienne à l’eurovision.
Tel un symbole, le professeur israélien Elie Barnavi, partisan de la création d’un Etat palestinien et peu suspect de sympathies politiques à droite, fut empêché, peu avant la trêve des confiseurs, de tenir une conférence à l’Université libre de Bruxelles : lui, l’allié de la cause palestinienne, était donc déclaré persona non grata, en raison de sa nationalité et de ses origines, soit la définition même du racisme. S’il n’y avait pas eu ça et là quelques drapeaux LGBT, on pourrait écrire que le campus de l’ULB fut alors devenu, pendant plusieurs semaines, une mini-bande de Gaza : les drapeaux palestiniens pendirent aux fenêtres de bâtiments dégradés par les activistes ; le keffieh fut porté avec ostentation ; les slogans, jusqu’aux plus nauséabonds, fusèrent comme autrefois les chants estudiantins ; on y utilisa davantage le terme « génocide » que l’expression « libération des otages » ; la violence n’était jamais loin, jusqu’à l’agression de deux étudiants portant le drapeau israélien ; le rectorat mit fin aux accords de recherche avec les universités israéliennes et les professeurs se mirent au diapason : pour soutenir « la cause », certains ont déclaré vouloir faire la « grève de la surveillance » lors des examens (« étudiants, trichez, c’est pour la bonne cause ! »).
La lutte des races supplante la lutte des classes
Il n’est dès lors pas étonnant de constater que l’islamo-gauchisme se transforme toujours plus clairement en gaucho-islamisme ; autrement dit, la lutte des classes passe au second rang, derrière l’affirmation religieuse. Bruxelles avait été la pionnière en faisant élire, il y a quinze ans, la première femme voilée dans un Parlement en Europe : Mahinur Özdemir, représentante du Centre démocrate humaniste (aujourd’hui Les Engagé-e-s) et présentée alors comme parangon de la diversité heureuse, a depuis été écartée de la vie politique en raison de son abnégation à refuser de reconnaître le génocide arménien et a rejoint le gouvernement… turc de Recep Tayyip Erdogan. À la même époque, les Loups gris turcs faisaient déjà de l’entrisme sur les listes, et certains députés militaient pour la libération d’Oussama Attar qui deviendrait plus tard le cerveau des attentats de Paris.
Entretemps, de nouvelles figures, toujours plus nombreuses, ont émergé. C’est le cas notamment de Ridouane Chahid, bourgmestre (= maire) socialiste d’Evere, une des dix-neuf communes bruxelloises, à la Tabaâ tamponnée sur le front (marque indiquant une grande assiduité religieuse), qui a fait hisser un drapeau palestinien au fronton de sa maison communale. Mais on n’est plus à cela près : l’ancienne co-présidente d’Ecolo fut maintenue en place après avoir relayé sur ses réseaux sociaux une comptine appelant à « tuer les fils de Sion » ; elle ne fut poussée que récemment vers la sortie en raison des… mauvais résultats de sa formation politique (dus entre autres à un wokisme délirant et une politique de mobilité désastreuse).
Complaisances
Les autres élus ne semblent pas s’en alarmer outre mesure et se complaisent dans le rôle d’idiots utiles. Ainsi en est-il, par exemple, de l’écologiste Alain Maron : dans une interview surréaliste, celui qui était encore ministre a déclaré, sans nuance, que l’ « islam est pour l’égalité hommes-femmes et le droit à l’avortement ». Et que dire de Défi, parti ouvertement laïc qui, pour rester dans le précédent gouvernement, ferma les yeux sur une affaire de port du hijab dans une société publique ? Tout ce petit monde tente aujourd’hui de former un gouvernement régional bruxellois : face au blocage, il se murmure que les socialistes flamands pourraient vouloir y intégrer la formation de Fouad Ahidar. Ce dernier sait que le temps, à court et à long terme, joue en sa faveur. Dans tous les cas, il a déjà annoncé vouloir présenter des listes aux élections communales qui se tiendront en octobre. Il reste à voir si celles-ci connaîtront la voie de l’éphémère parti Islam qui avait eu pour vocation d’instaurer la charia en Belgique ou celle de leurs homologues qui, au Royaume-Uni commencent à faire de l’ombre aux travaillistes. Quoi qu’il en advienne, les partis « du système » commenceront peut-être alors à se mordre les doigts d’avoir longtemps joué une carte communautaire qui commence à leur échapper.
Par Gregory Vanden Bruel le 27 août 2024