Dans le monde d’avant, on amenait ses élèves dans les musées et on tentait de leur inculquer, bon an, mal an, un humanisme fondé sur le savoir, l’expérience et l’esthétique de leurs aînés. Désormais, on cultive l’éco-geste, on végétalise espaces et esprits. Les sorties scolaires se font à la déchetterie ou en forêt : on y recycle ou ramasse les détritus, on découvre la biodiversité, on fustige l’irresponsabilité de ses parents. En 2021, M. Blanquer a opéré le virage du développement durable en dotant les établissements scolaires d’une nouvelle instance représentative : celle des éco-délégués.
Alors qu’est-ce qu’un éco-délégué ? C’est un « acteur de la question écologique au sein de l’école » et un « ambassadeur » de la planète, ni plus ni moins. L’éco-délégué s’engage à « porter des projets », ânonne quelques slogans inspirés (éteindre la lumière, c’est éclairer l’avenir ; maman, je sèche comme la planète ; aux arbres, citoyens !), jure qu’il a trié, trie et triera ses déchets. Et puis il veille à apprendre à ses camarades et surtout à ses professeurs les bons gestes: l’économie de papier, le covoiturage, la réduction du gaspillage alimentaire.
Le problème étant que ce que l’on pourrait saluer comme le retour d’une sagesse ancestrale, la « juste mesure » aristotélicienne dominée par le souci d’équilibre, d’harmonie et de maîtrise, la vertu cardinale de la tempérance, prend la forme d’une religion régressive et sottement dogmatique, voire d’un endoctrinement dont on ferait bien de mesurer les effets.
À l’éco-école, nous communions dans une même foi et notre divinité est la Terre. Ce culte a ses rites : le mea culpa des adultes, le prêchi-prêcha des enfants, les grand-messes (élection des éco-délégués, semaine pour le climat, rendez-vous régional et annuel des éco-engagés). Il a ses dogmes (le papier, c’est le péché), ses Pap et papesse (votre ministre fait de la « question écologique » une priorité; votre cheffe d’établissement vous désigne à la vindicte publique parce que vous faites trop de photocopies). Ce culte nous délivre du mal en ce qu’il nous débarrasse de la complexité du monde, d’une histoire et d’une culture infréquentables, des religions du livre et, en définitive, du livre même.
Mais à quoi mène la Réforme verte dans les écoles? Elle assigne les enfants à l’ignorance et elle les voue à l’angoisse. À l’ignorance parce qu’au lieu de transmettre le savoir, de forger l’esprit critique, de confronter progressivement l’élève à l’ambiguïté de la nature et des choses humaines, elle annihile la pensée par son formalisme et son manichéisme (le monde en noir et vert). Pendant ce temps, dans les quelques établissements qui élèvent encore les enfants à l’abri du tumulte du monde (l’École alsacienne, peut-être ?), on écrit à l’encre sépia sur du papier Clairefontaine, on apprend la vie dans les livres et on renvoie aux calendes grecques les humanités numériques. Cette Réforme verte voue nos enfants à l’angoisse parce qu’elle les emprisonne dans sa novlangue et ses pathologies: éco-gestes ou pas, on est un écophage, complice de l’écocide, victime d’éco-anxiété et on consulte un écopsychologue.
Alors peut-être faudrait-il remettre un peu d’ordre dans tout ça. Pour ceux qui veulent renouer avec la nature et les vertus qu’on y développe, il y a les mouvements de jeunesse : « Le scout voit dans la nature l’œuvre de Dieu, il aime les plantes et les animaux ». Si l’on est vraiment hermétique au bénévolat, on peut se tourner vers le fils d’Anne Hidalgo, Arthur Germain, qui organise des stages de survie de deux jours en milieu naturel et les facture 200 euros (sobriété oblige).
Mais c’est en renouant avec la culture humaniste et la formation du jugement que l’école assumera la mission qui est la sienne. On le sait depuis Érasme : « On ne naît pas homme, on le devient ».
Par Brune Saint-Laurent le 1er novembre 2022