Il est de bon ton de se désoler de la désertification des campagnes à tout niveau : écoles, transports, hôpitaux, etc. D’ailleurs, aucun candidat à une élection locale n’oublierait la sacro-sainte promesse électorale de stopper la fermeture des magasins en centre-ville et de tout faire – mais alors tout, hein ! et plus encore – pour réimplanter ces petits commerces d’antan qui faisaient la richesse et la beauté de nos rues… Ils étaient tellement indispensables, n’est-ce pas ! On se demande bien pourquoi ils disparaissent les uns après les autres…
Un jour, je demandais à un jeune, dynamique et sympathique maire, récemment élu à la tête d’une petite ville, s’il croyait possible cette réimplantation des commerces ; il me donna cette réponse aussi sincère que sibylline : « Non ! Mais il faut y croire ! »
Il y a quelques années, un reportage diffusé lors d’un Journal télévisé nous faisait découvrir un entrepreneur particulièrement optimiste dont l’activité était justement de « réimplanter » dans les villages qui en étaient démunis, un commerce qui allait faire office d’épicerie, boulangerie, point poste, bistrot, tabac et plus si affinités… Il trouvait ainsi le ou les gérants et les aidait dans leurs démarches et leur(s) installation(s) jusqu’au jour J, soit l’ouverture du commerce tant attendu par monsieur le Maire et ses administrés qui étaient tous conviés à célébrer comme il se devait l’événement avec vin d’honneur et ripailleries… Et tous étaient là ! Et tous félicitaient l’entrepreneur de « sauver » ainsi leur village et ses alentours grâce à cette si formidable initiative.
Et ?… Et ?… Et l’entrepreneur concluait, un peu dépité :
— L’enthousiasme le jour de l’ouverture était bien réel… Seulement, dès le lendemain, tous ces villageois prenaient leur voiture pour rouler 20 kilomètres et faire leurs courses à la grande surface la plus proche. La force de l’habitude !
Les petits commerces ainsi réimplantés vivotaient alors misérablement… ou disparaissaient plus sûrement encore.
Mais la nature a horreur du vide, même au fin fond des campagnes… et à Trifouillis-les-Oies ou à Pétaouchnock-sur-betteraves, on n’arrête pas plus le progrès qu’ailleurs…
Fini les petits commerçants ? À l’évidence !… Alors bienvenus aux distributeurs automatiques, aussi vieux que le début du XXe siècle où ils sont d’abord apparus dans le métro parisien, puis se sont déployés dans les sociétés et les lieux publics des grandes villes avec l’apparition des machines à café et des distributeurs de boissons.
Et maintenant, ils fleurissent dans les campagnes où l’on a souvent pris l’habitude d’y récupérer sa baguette de pain, tout comme ses billets de banque… et déjà (presque) tout le reste de nos besoins ; comme l’explique une enquête du Monde : « Depuis le début du XXIe siècle, les robots ravitailleurs prospèrent au pays de Gault et Millau. L’institut d’études Gira Foodservice en dénombre aujourd’hui près de 80 000 exemplaires qui délivrent, sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, une multitude de produits, du pain aux huîtres, sans oublier la cancoillotte, le boudin blanc, les œufs, le lait cru et la pizza quatre fromages. Ils sont taillés tels des frigos américains, éclairés la nuit (jusqu’à quand ?) et hyperconnectés. De quoi nourrir la version 3.0 du Tour de Gaule d’Astérix (Dargaud, 1965). »
Il est certain que les grandes surfaces ont eu la peau des petits commerçants, qu’on s’en indigne ou non… Les distributeurs automatiques auront-ils, à terme, celle des Super U, Intermarché, Leclerc et autres Carrefour ?
À l’intérieur de ceux-ci, les caisses automatiques sont déjà à la manœuvre pour avoir celle des dernières caissières… Pourront-elles être sauvées ?
Un maire jeune, dynamique et sympathique répondrait sûrement : « Oui, bien sûr… »
Et ajouterait aussitôt : « Enfin, il faut y croire ! »
Par Philippe Randa le 27 septembre 2022